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LES ORIGINES CHRETIENNES

La conversion

Depuis la conquête de Jules César, entre 58 et 52 avant Jésus-Christ, la Gaule est une province de l'empire romain. Cette situation politique va faciliter l'implantation de la religion chrétienne : dès la mort du Christ, ses apôtres et disciples circulent librement dans l'espace méditerranéen pour diffuser la nouvelle religion ; dès la fin du Ier siècle, la présence de chrétiens est attestée dans le midi de la France ; puis le christianisme progresse le long de la vallée du Rhône, voie importante de communication et d'échange, et se répand dans le nord-est de la Gaule. Des grandes villes, où se font les premières conversions, partent des missionnaires vers les campagnes environnantes. Puisqu'elle a contribué à l'évangélisation des campagnes, la ville devient le siège de l'autorité chrétienne naissante.

Ainsi, d'une première assemblée chrétienne constituée dans la ville de Agedincum, sur le territoire des Senons, de nouveaux pasteurs seraient partis à la conquête des campagnes : selon la tradition, rapportée par Paul Guérin dans sa Vie des saints, au début du IIIe siècle, l'évêque Savinien et ses compagnons Potentien et Altin arrivent dans le Gâtinais. Comme dans nombre d'autres lieux, c'est un miracle - l'apparition de la crèche de Bethléem - qui aurait entraîné la conversion des Ferriérois de l'époque. On peut être sûr, en tout cas, que le passage des prêtres a été remarqué et n'a pas laissé les habitants insensibles, puisque très tôt un lieu de culte chrétien est attesté à Ferrières.

Les premiers chrétiens

Au début du IIIe siècle, la religion chrétienne n'est pas admise dans l'empire romain, car ses adeptes refusent, notamment, de rendre un culte public à l'empereur. Des périodes de persécutions alternent avec des périodes calmes qui permettent à l'église naissante de se reconstituer. Nos évangélisateurs furent victimes d'une de ces périodes de lutte contre le christianisme, limitées aux grandes cités.
Avec l'empereur Constantin, le contexte religieux de l'empire se modifie. En 312, avant d'affronter son adversaire Maxence, l'empereur reçoit, en rêve, l'ordre de placer sur les boucliers de ses soldats le chrisme, signe du Christ et donc des chrétiens. Le lendemain, la célèbre "bataille du pont de Milvius" est une éclatante victoire. L'empereur vainqueur remercie l'Église par l'édit de Milan daté de 313, qui libère les chrétiens emprisonnés, ordonne la restitution de leurs biens et surtout leur accorde la liberté d'exercer leur culte : cette décision permet la multiplication des conversions et la consolidation des premières communautés chrétiennes dans l'empire romain.


On imagine que la vie dans le village de Ferrières suit son cours, avec ses activités minières et ses semaines ponctuées par des cérémonies religieuses dans un édifice en bois surplombant la Cléry, à l'emplacement actuel de Notre-Dame de Bethléem.

Bethléem en Gâtinais

L'abbaye de Ferrières s'est d'abord appelée abbaye de Bethléem. Le choix de ce vocable renvoie au miracle à l'origine de la conversion du village.
De plus, au début de la chrétienté, lorsqu'il fallait baptiser un lieu ou un édifice religieux, on choisissait parmi les saints, qui n'étaient alors que peu nombreux, et les mêmes revenaient souvent : saint Pierre, saint Paul, saint Etienne, sainte Marie… D'où l'idée, qui se répand au VIIe siècle, d'utiliser le nom des lieux où vécut le Christ pour désigner les établissements monastiques. Ainsi, le monastère fondé à Saint-Dié est nommé Galilée et celui de Rebais, Jérusalem. Alors pourquoi pas Bethléem en Gâtinais ? Notons que, dans ses lettres, Loup désigne son monastère à la fois par le vocable de Ferrières et par celui de Bethléem : "Aux évêques d'Italie et de Gaule […] Loup, abbé du monastère, dénommé Bethléem ou Ferrières." (Lettre 99)













Les invasions

Or la "Pax Romana" s'affaiblit de plus en plus dans un empire romain dont le limes (frontière fortifiée) est de moins en moins bien défendu. Des vagues d'envahisseurs barbares, attirés par les richesses et à la recherche de terre, pénètrent dans l'empire. Les terribles Huns dirigés par Attila arrivent à leur tour. Après avoir pillé Metz, Reims et Troyes, ils marchent sur Paris précédés par le récit de leurs atrocités. Face à la résistance qui s'organise sur les exhortations de sainte Geneviève, ils préfèrent se rabattre sur Orléans, la cité de l'évêque saint Aignan. Mais une armée de secours arrive, Attila se replie vers le nord-est.

Ce serait au cours de ce repli qu'il aurait atteint Ferrières, pillé la ville, et, dit-on, massacré trois ou quatre cents habitants réfugiés dans l'église. La mémoire de cette tragédie s'est conservée dans la tradition. A la fin du XIXe siècle, les travaux pour poser un calorifère dans le sous-sol de Notre-Dame de Bethléem ont mis à jour des restes humains calcinés qui pourraient bien être ceux des malheureuses victimes d'Attila.

L'époque mérovingienne

L'empire romain d'occident éclate donc sous la pression des Barbares : Wisigoths, Ostrogoths, Burgondes et Francs se partagent la dépouille et se battent pour agrandir leur domaine. En 481, Clovis devient le chef des Francs saliens. Son objectif est d'accroître son royaume et par là son pouvoir. En 492, il épouse Clotilde. C'est avant tout une alliance politique garantissant au chef des Francs la neutralité de Gondebaud, roi des Burgondes pour entamer une guerre contre Alaric II, roi des Wisigoths. Entre 492 et 493, Clovis agrandit son territoire, s'emparant des terres entre la Seine et la Loire : c'est probablement à cette époque que le village de Ferrières passe sous le contrôle du premier roi mérovingien.

Des bons pères… entremetteurs

Clovis venait souvent à Ferrières pour chasser dans les bois environnants. Selon une légende locale, c'est à Ferrières qu'il rencontra Clotilde, fille de Chilpéric Roi de Bourgogne, chrétienne et fort pieuse, qui venait souvent prier dans l'oratoire de Bethléem, à cause de la dévotion et des merveilles et des miracles qui s'y opéraient chaque jour. Laissons Dom Morin nous raconter la suite : Ce fut au récit que les bons Pères Hermites de Bethléem firent au Roi Clovis de la beauté et plusieurs grands biens et vertus, qui étaient en Clothilde, qu'il la rechercha en mariage.

L'histoire, hélas, est bien moins romanesque : la jeune Clotilde retenue prisonnière dans son palais de Lyon par son oncle Gondebaud, qui avait fait trancher la tête de son père Chilpéric, jeter sa mère dans le Rhône, massacrer ses deux jeunes frères et enfermer sa sœur dans un monastère, ne pouvait guère se rendre à Ferrières ! Son mariage avec Clovis fut une affaire politique, conclue sur les conseils de Saint Rémy, évêque de Reims.

Dès le IVe siècle, en Gaule, des fidèles se rassemblaient pour tenter d'appliquer radicalement les préceptes évangéliques. Ils vivaient dans des grottes ou des cabanes en bois et se regroupaient pour la messe. Il est fort probable que les habitants de Ferrières se soient comportés ainsi après le passage de saint Savinien.

D'après la tradition, c'est Clovis qui aurait demandé la construction d'une seconde église pour les moines, à proximité du premier lieu de culte, Notre-Dame de Bethléem. La première construction de l'église Saint-Pierre et Saint-Paul, au début du VIe siècle, serait donc une reconnaissance officielle d'une communauté monastique dont l'existence était antérieure. Il est attesté que le couple royal, après la conversion du roi, est allé en pèlerinage au monastère Saint-Martin de Tours, très réputé à l'époque. Ils purent très bien se rendre à Ferrières, ou y passer, sans que cela soit rapporté par des textes. De plus, pendant son veuvage qui dura de 511 à 533, selon Grégoire de Tours, la reine pourvut les églises, les monastères et les lieux saints des biens qui leur étaient nécessaires. Pourquoi l'église de Ferrières ne ferait-elle pas partie de cette liste des nombreux bénéficiaires ? Cela pourrait expliquer la place privilégiée qu'occupaient Clovis et Clotilde dans la liturgie du monastère.

Si le règne de Clovis a été une époque bénéfique pour l'Eglise, la situation est bien différente sous ses successeurs. Les Francs ont l'habitude de diviser leur royaume, à leur mort, entre leurs descendants masculins. Cette mesure est à l'origine de très nombreux conflits suscités par la jalousie entre les héritiers. Ferrières subit les conséquences de ces guerres fratricides : en 607, le village et le monastère sont assiégés, pillés et détruits, car ils appartiennent à Clothaire II, le fils de Frédégonde, en guerre contre les petits-fils de Brunehaut : Théodebert et Thierry. Batailles et assassinats se terminent par l'exécution de Brunehaut et de ses arrière-petits-enfants, en 613. Clothaire II, seul survivant, gouverne les Francs. Commence alors une période de paix, marquée par un regain de la vie monastique, qui connaît son apogée sous le règne de Dagobert (629-639).

A Ferrières, Wandelbert, gouverneur du Gâtinais, ordonne la reconstruction des bâtiments et la reprise des activités religieuses. Pour faciliter le développement du monastère, il propose au pape de l'époque, Honorius I, d'en être le propriétaire. Ce dernier accepte, ce qui permet au monastère de se développer, à l'abri des querelles religieuses locales, seul le souverain pontife ayant autorité sur l'abbé et pour intervenir dans les affaires du couvent : Bethléem devient une "abbaye papale". Cette donation est rappelée, sur les armes de Ferrières, par deux clefs symbolisant le premier Pape, saint Pierre, en même temps un des saints patrons de l'abbatiale.

Le nouvel essor des monastères à cette époque est dû, notamment, au passage dans les royaumes francs d'un moine : saint Colomban. Originaire d'Irlande, il a débarqué sur le continent en 575 pour "pérégriner", c'est-à-dire évangéliser les populations et fonder des monastères. A ceux qui souhaitent se consacrer totalement à Dieu, il conseille de passer la journée en prière, en s'imposant des mortifications, sans oublier d'accomplir aussi un travail manuel et intellectuel. Beaucoup de monastères existant au VIIe siècle ont mis en pratique cette austère règle de vie. Lors de leur unique repas quotidien, en début d'après-midi, les moines ne mangent jamais de viande et ne font aucun excès, "de telle manière que le ventre ne soit pas surchargé et que l'esprit ne soit pas suffoqué". Ils doivent pourtant participer aux travaux agricoles et maîtriser leurs sens, en se plongeant dans l'eau glacée des rivières, par exemple. Ils doivent aussi connaître le latin pour lire les Écritures.


C'est cette règle qu'ont dû suivre les premiers moines de Ferrières.

A l'origine, Ferrières était une abbaye double : à côté du couvent d'hommes était installé un monastère de femmes, dédié à la Sainte Croix. Une telle organisation, fréquente au début du monachisme, permettait sans doute de sécuriser un peu les communautés féminines durant cette époque plutôt violente. Bien sûr, moines et moniales vivaient séparément, mais chacun savait qu'il pouvait compter sur l'autre sur le plan spirituel et temporel. A Ferrières, une petite distance séparait les deux communautés : l'une vivait autour de l'abbatiale, dans le village actuel de Ferrières, l'autre était installée au nord de Griselles, au lieu-dit La Ronce.
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