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L'EPOQUE CAROLINGIENNE OU L'AGE D'OR DE L'ABBAYE DE BETHLEEM

Pépin le Bref


Au début du VIIIe siècle, les derniers mérovingiens, descendants de Clovis et de Dagobert, se révèlent de moins en moins capables de faire face à leur tâche de rois des Francs. En 732, c'est Charles Martel, alors maire du Palais, c'est-à-dire chef de la maison du roi, qui repousse l'invasion des Musulmans. Il gagne, avec la bataille, un très grand prestige pour avoir stoppé, puis refoulé, une armée qui ne cessait de gagner du terrain depuis la mort de Mahomet en 632. Il est élevé au rang de roi, en 751, à Soissons, par les évêques du royaume. Pour conforter sa position, il fait appel au pape Etienne III, qui le sacre une nouvelle fois avec ses fils en 754.


L'abbaye de Ferrières avait bénéficié des dons de Clovis et de ses descendants. La nouvelle famille régnante perpétue cette pratique. Pour bien le montrer, certains ont même situé le second sacre de Pépin le Bref à Ferrières. Il n'en est rien. Cependant c'est bien à Ferrières que le roi, selon la légende, a prouvé sa bravoure en affrontant des bêtes sauvages. En 768, le souverain meurt laissant son royaume à Carloman et Charles. Le premier trépasse peu de temps après ; le futur Charlemagne, seul héritier de la couronne, livre bataille pour affirmer son pouvoir, unifier son territoire et l'agrandir.

Nouvelles destructions

Le jeune souverain est un chef de guerre valeureux, très souvent victorieux. Cependant les Saxons sont difficiles à soumettre. Et vers 774, en révolte contre Charlemagne qui voulait les convertir et les coloniser de force, ils s'introduisent jusque dans le Gâtinais, détruisant, au moins en partie, les deux complexes monastiques. Après la ruine de leurs bâtiments, les moniales se sont par la suite installées à Gy-les-Nonnains. Une route, passant par La-Chapelle-Saint-Sépulcre reliait les deux centres religieux.

La renaissance carolingienne

Le règne de Charlemagne est, avant tout, synonyme de grandeur pour l'abbaye. L'empereur sait que l'accession de sa famille à la royauté est due à l'Église, qui peut être une alliée efficace dans sa volonté de centralisation du pouvoir et d'uniformisation de l'empire. L'alliance entre Charlemagne et l'église n'est pas uniquement de circonstance : le souverain est un chrétien convaincu, qui souhaite réformer une église de plus en plus coupée des fidèles. Les monastères sont les points d'ancrage pour réaliser les réformes. Dès lors, chaque couvent doit abriter une école qui accueille les futurs clercs mais aussi les laïcs qui le souhaitent. Les moines, eux-mêmes, doivent étudier les Saintes Écritures et reçoivent la lourde mission de les conserver intactes pour les générations futures. Sous l'influence du souverain, les ateliers de copistes reprennent de la vigueur. Dans le même temps, Charlemagne constate que chaque monastère suit sa propre règle, mélange d'influences très diverses. Avec l'aide de saint Benoît d'Aniane, il recherche la véritable règle de saint Benoît de Nurcie, qui apparaît la plus pondérée, et la plus apte à s'appliquer à toutes les communautés. Dans la continuité de l'œuvre de son père, Louis le Pieux la rend obligatoire dans tout l'Empire, en 817.

Ferrières adopte donc la Règle de saint Benoît comme les autres couvents. Et surtout Charlemagne place à la tête de l'abbaye, en 794, son ami Alcuin. Sous l'autorité bienveillante de ce fin lettré, un des hommes les plus savants de la cour, Ferrières devient la "nouvelle Athènes", son scriptorium et sa bibliothèque sont parmi les plus prestigieux de l'époque. Les successeurs d'Alcuin sont tout aussi préoccupés de lettres que de spiritualité ; le plus célèbre d'entre eux, Loup Servat, entretenait des relations épistolaires avec toutes les grandes abbayes du temps, dans et hors de l'empire et échangeait avec elles de précieux manuscrits. La communauté monastique de Ferrières était devenue un des centres de la Renaissance culturelle carolingienne.
Vingt années avant le règne de Loup Servat, saint Aldric avait entrepris de reconstruire l'église abbatiale, dont le plan s'inspire fortement de la chapelle palatine de Charlemagne, affirmant ainsi, par l'architecture, la proximité de la communauté avec le pouvoir politique en place.

Un manuscrit rédigé à l'abbaye de Ferrières.

A la bibliothèque Vaticane est conservé un manuscrit recopié et peut-être élaboré dans le scriptorium de Ferrières en 905. Il s'agit d'un comput, c'est-à-dire d'un calendrier perpétuel utilisé pour calculer la date de la fête de Pâques d'où découlent les principales fêtes chrétiennes. Ce comput est accompagné d'un petit traité d'astronomie. Ce manuscrit est classé dans le fonds de la Reine Christine de Suède, souveraine protestante qui a racheté les manuscrits volés à Saint-Benoît-sur-Loire pendant les guerres de religion. On peut se demander comment un manuscrit réalisé à Ferrières s'est trouvé dans la bibliothèque d'une autre abbaye : est-ce à cause d'un vol ou à la suite d'un échange ?

Menaces

Cependant Louis le Pieux n'arrive pas à réconcilier ses trois fils. Bien avant sa mort, ils s'affrontent pour prendre la tête du royaume. En 843, à Verdun, Lothaire, Louis le Germanique et Charles le Chauve se partagent l'empire constitué par leur grand-père. Ferrières se trouve dans la Francie occidentale, attribuée au dernier des trois frères. Mais l'abbé reste un conseiller de son souverain.

Ces guerres fratricides ont affaibli les territoires carolingiens, menacés de toutes parts. L'insécurité grandit avec leurs successeurs. Au sud, les Sarrasins mènent des razzias le long des côtes méditerranéennes ; sur les bords de l'Atlantique et remontant les fleuves, les Vikings, ces "hommes du nord", sèment la mort et la terreur ; en même temps, les Hongrois traversent l'ancien empire d'est en ouest pour le piller. Les monastères qui renferment des richesses et des réserves importantes de nourriture attirent en priorité les pillards ; plusieurs monastères ont dû être abandonnés par les moines qui cherchent refuge loin des incursions.

Des ogres à Ferrières.

A la fin du IXe siècle, des hordes de cavaliers hongrois déferlent sur l'Europe occidentale. Venant de la grande plaine de Pannonie, la Hongrie actuelle, ils sont avides de richesses et prennent parfois des femmes pour en faire des esclaves. Ils se nourrissent de viande quasi crue. De langue finno-ougrienne, les populations les désignaient parfois par les noms de Onogours, Ongours, Oungri ou Ougres. La terreur qu'ils ont inspirée a laissé sa trace dans la mémoire collective : elle a donné naissance au personnage de l'Ogre dans les récits médiévaux, puis les contes. Ce dévoreur d'enfants né de l'horreur provoquée par les Hongrois, est révélateur de la terreur panique qui devait précéder leur arrivée et faciliter leur victoire.

Cette menace pèse aussi sur Ferrières ; les lettres de Loup Servat en témoignent : il y exprime ses inquiétudes quant à l'arrivée probable des Vikings. Il envoie d'abord les principales richesses du monastère - manuscrits, vases et ornements sacrés - à l'abbaye de Saint-Germain d'Auxerre. Puis en 861, la menace se précisant, il prévoit d'évacuer le monastère vers Troyes, où l'évêque offrait l'hospitalité. A ces incursions extérieures, facilitées par la défaillance de l'autorité royale, s'ajoutent, à l'intérieur, les attaques de brigands que le pouvoir ne combat plus. Ainsi un certain Maurice, à la tête d'une bande de soldats, ravage des terres dépendant de l'abbaye ; les moines, menacés, se réfugient dans un prieuré de la forêt d'Orléans appartenant à Vézelay et n'en reviennent qu'après la conversion du bandit !

En mars 862, l'abbé Loup prend sa plume pour remercier l'évêque de Troyes, Folcric, de lui avoir proposé d'abriter la communauté dans son domaine d'Aix-en-Othe, dans l'Aube, face à la menace des Normands.

A Folcric,
Au très révérend prélat Folcric, Loup, salut temporel et éternel. […]
En effet, comme de cruels pirates païens avaient poussé jusqu'à une île de la Seine, située au-dessous de la ville fortifiée de Melun récemment brûlée par d'autres, et comme - avec raison - nous jugions leur voisinage très dangereux pour nous si la pitié de Dieu ne nous secourait, nous étions partagés entre la crainte de rester dans notre monastère et l'impossibilité de découvrir, dans l'accablement que nous causait le tourment d'une telle calamité, un endroit propre à notre installation.
Sur ces entrefaites, étant venu pour me visiter […] vous avez aussitôt […] soulagé d'un grand poids notre réserve et prévenant notre instante prière, vous nous avez offert votre domaine d'Aix, la principale de vos possessions. […]
Aussi avons-nous été surpris et émerveillés de rencontrer de nos jours, quand l'iniquité déborde et que chez beaucoup les sentiments charitables refroidissent, quelqu'un qui, au prix d'un tel sacrifice et d'une telle diminution de patrimoine, vînt en aide aux nécessiteux. […]
Mais puisque la surabondante clémence de Dieu, couvrant de son indulgence nos innombrables et immenses fautes, a renversé les projets menaçants des brigands, qui se vantaient déjà, après avoir ravagé les monastères les plus célèbres tout à l'entour, de gagner aussi Chappes le siège des foires, et qu'elle a détourné de nous les pirates ( plaise à Dieu de les détourner de tous les chrétiens) et que cette fois nous ne serons pas contraints, chassés de notre monastère, de courir le pays, nous souhaitons tous comme si nous en avions usé du bienfait accordé, que la récompense pleine et entière d'une si belle et si bonne action vous soit assurée d'avance par Dieu lorsqu'il entreprendra de glorifier les élus et de rendre grâce pour grâce. […]

Loup de Ferrières, Correspondance, trad. Léon Levillain, Paris 1964 p.175 à 181

Peu après, le monastère fut sollicité pour accueillir le sacre des deux fils de Louis II le Bègue qui venait de mourir. Ce n'est, en effet, qu'à partir de 1027 et du sacre d'Henri Ier que cette cérémonie eut systématiquement lieu dans la cathédrale de Reims. Encore adolescents, les deux souverains Louis III et Carloman sont sacrés dans l'abbatiale le 10 avril 879, un vendredi saint. Mais les deux rois sont morts très jeunes et sans héritiers directs, ce qui a peut-être changé la destinée de l'abbaye de Ferrières.

La triste fin de Louis III et de Carloman

Louis III était un jeune roi dynamique, qui aurait pu redonner un second souffle à la dynastie carolingienne. Il avait, notamment, remporté une victoire face aux terribles Vikings. Mais en 882, il fut victime de sa vitalité, s'éclatant la tête, dit-on, au linteau d'une porte alors qu'il coursait une fille !! (d'après Laurent Theis, L'héritage de Charlemagne, Point Seuil, 1990, p.116) Carloman, son frère, a tout juste seize ans quand il devient le seul roi des Francs. Il ne manque pas de courage lui non plus, mais meurt d'un accident de chasse à la fin de l'année 884.

La dégradation s'accentue avec l'arrivée d'abbés non plus préoccupés de belles lettres mais intéressés par les revenus. Ainsi, en 960, l'archevêque de Sens, Archambaud, devient abbé et en profite pour dilapider une partie des biens de la communauté. Cet ecclésiastique plus sensible aux biens matériels qu'aux richesses spirituelles meurt huit ans plus tard frappé par la foudre au cours d'une orgie.
 
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