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LE TEMPS DES CAPETIENS

Désagrégation du pouvoir royal et constitution des fiefs
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En plus des menaces extérieures, les rois qui se succèdent doivent se concilier les grands du royaume, souvent héritiers des comtes, nommés par Charlemagne pour contrôler l'empire, et qui agissent alors surtout en faveur de leurs intérêts. Des fiefs se constituent et de nouvelles relations s'organisent entre leurs propriétaires, tout un système de clientélisme, avec des vassaux et des suzerains où le roi, suzerain des suzerains, a moins de pouvoir que certains de ses vassaux comme le comte de Toulouse, par exemple. Finalement les grands du royaume assemblés en 987 à Noyon élisent roi à la place du dernier survivant des Carolingiens, Hugues Capet, duc de Paris. Mais la dynastie capétienne arrivée sur le trône n'impressionne pas ; Hugues et son fils Robert le Pieux n'imposent pas leur autorité dans le royaume.


L'abbaye de Ferrières, certes informée de tous ces changements, ne prend aucune part active aux désignations des nouveaux souverains. Dans ce nouveau système féodal, l'abbé est le seigneur de ses terres et ne doit de compte qu'au roi lui-même. Pourtant, à la veille de l'An Mil, Foulque III d'Anjou dit "le Noir" ou "Nerra" devient comte du Gâtinais grâce à des alliances familiales. Il refuse de prêter hommage à l'abbé et s'empare d'une partie de ses biens. Il met ainsi en péril la survie de la communauté monastique, qui demande alors l'aide de l'abbaye de Fleury-sur-Loire (autre nom de Saint-Benoît), dont l'abbé était connu du souverain pontife. Ce dernier somme le mécréant de faire pénitence et de restituer les biens dérobés. Et contre toute attente, le pécheur se soumet au vicaire du Christ, restitue les terres à leur propriétaire et part en pèlerinage en Terre Sainte.

Retour dans le giron royal

L'abbaye de Ferrières n'est pas pour autant à l'abri des guerres féodales. Les petits-fils de Foulque Nerra, Geoffroy le Barbu et Foulque le Rechin, jaloux l'un de l'autre, en viennent aux mains ; Foulque s'enferme dans la forteresse du couvent et Geoffroy, pour mieux lui résister, se construit un donjon près de l'église Saint-Eloi. Les deux adversaires sont d'égale force, mais plus avisé, Foulque fait appel au roi Philippe Ier. Se sentant perdu, Geoffroy s'enfuit, incendiant sa retraite et les constructions environnantes. Foulque s'était engagé, en cas de victoire, à rendre le Gâtinais au souverain : Ferrières réintégrait ainsi le domaine royal, et la protection du roi qui lui avait été acquise par Wandelbert au VIIe siècle.

La charte d'affranchissement

En 1185, l'abbé Arnoud décide d'affranchir les serfs qui sont attachés au territoire de l'abbaye. En échange d'un engagement à payer un certain nombre de taxes, ces derniers peuvent se marier, faire un testament, des économies et surtout quitter le fief sans avoir à demander l'autorisation de leur seigneur, l'abbé. La charte de Ferrières a été rédigée selon le modèle de la première charte d'affranchissement faite pour la ville de Lorris en 1155. Elle a été approuvée par le souverain, Philippe Auguste. En voici les premières lignes :

Moi Arnoud, par la grâce de Dieu humble abbé de l'Eglise de Ferrières, et de tout le couvent, nous voulons faire savoir à tous, présents et à venir, que nous affranchissons et déchargeons à perpétuité de tout joug de servitude tous nos gens de corps, tant hommes que femmes, demeurant présentement dans la paroisse de saint Eloi, et dans toute la banlieue de Ferrières […] nous leur accordons en même temps la liberté d'aller où et quand ils voudront, ainsi que le pouvoir de disposer de leur bien, comme des hommes libres.
La disparition progressive du servage scelle la fin de la féodalité et accompagne l'augmentation du pouvoir royal.

Les croisades

Depuis le VIIe siècle, les Musulmans s'étaient emparés de la Terre Sainte. D'abord assez tolérants envers les pèlerins, ils deviennent de plus en plus agressifs. Le Pape, préoccupé par cette situation et désireux de stopper les guerres stériles entre chevaliers chrétiens, a l'idée d'envoyer ces derniers combattre les infidèles en Orient. Lors d'un concile à Clermont, en 1095, le souverain pontife Urbain II lance un appel solennel en faveur de la guerre sainte. Enthousiastes, les volontaires décident de coudre une croix rouge sur leurs habits, comme signe de reconnaissance ; ainsi sont nés les croisés et les croisades.

Ferrières, avec son pèlerinage de Notre-Dame de Bethléem, n'est sûrement pas restée indifférente à ces actions militaro-religieuses. A la fin du Moyen Age, l'abbé Louis de Blanchefort ne pouvait qu'être sensible aux événements du Proche Orient : il était le neveu du Maître de l'Ordre de Rhodes, communauté de moines soldats installés sur l'île de Rhodes après avoir quitté la Terre Sainte et qui, en 1521, se sont repliés à Malte, donnée par Charles Quint.

Apogée de la chrétienté

Le XIIIe siècle est l'apogée du Moyen Age et surtout de la chrétienté. L'exemple était donné d'en haut par le roi saint Louis qui, tout en assumant ses tâches royales, menait une vie très proche de celle d'un religieux : assistance à la messe quotidienne, récitation des heures, charité envers les pauvres… C'est une période de prospérité, qui coïncide avec le lancement d'une nouvelle campagne de reconstruction des bâtiments religieux. Le style gothique se répand dans tout le royaume en commençant par le nord. Dès 1140, l'abbé Amaury décide de reconstruire l'abbaye royale de Ferrières en adoptant les nouvelles formes architecturales.

Pour demander pardon de leurs fautes, pour remercier Dieu d'une grâce ou implorer une guérison, de nombreux pèlerins, reconnaissables à leur pèlerine, leur grand chapeau et leur bâton, le bourdon, marchaient vers Saint-Jacques-de-Compostelle, Rome et Jérusalem… Grande était la renommée des monastères qui jalonnaient les chemins des pèlerinages et servaient de refuge pour la nuit aux voyageurs qui ne manquaient pas de se recueillir devant leurs reliques.

Vol de reliques.

L'historien ne peut étudier une abbaye médiévale sans rencontrer un vol de reliques. Cet acte pourtant condamné par l'Église comme tout autre vol, fait partie des lieux communs de la spiritualité médiévale. Il y a 1000 ans, en juillet 1002, le frère Aymon souffrait de terrible fièvre maligne. L'abbé Rainard Ier l'autorisa à prier sainte Montane, vierge berrichone dont les reliques étaient conservées dans le diocèse de Bourges. L'abbé Jarrossay nous raconte pieusement la suite : Aymon vint en pèlerin au tombeau et obtint guérison. Il demanda la permission de passer la nuit en prières dans l'église. Pendant que tout était silencieux autour de lui, il ouvrit le coffre renfermant les ossements de sainte Montane, en enleva une partie qu'il enveloppa dans un tissu de soie et les apporta dans son monastère. (…) Il y demeura jusqu'à la grande révolution, objet de la vénération des fidèles. On peut raisonnablement penser que frère Aymon fut absout de son larcin par son abbé - qui peut-être même l'avait envoyé en mission (?) - pour avoir accru la renommée de son couvent par la présence d'une relique supplémentaire.

Ferrières ne se trouvait pas sur le célèbre chemin de Saint-Jacques et les moines se contentaient d'accueillir les pèlerins du Gâtinais.
Le temps des malheurs

Après cette période de paix et de prospérité, le XIVe siècle voit se développer des difficultés importantes, qui vont toucher tout l'Occident. En 1328, le dernier des fils de Philippe IV le Bel meurt sans enfant : la dynastie des Capétiens directs s'achève. Ce décès ouvre des perspectives à Edouard III d'Angleterre, cousin par sa mère du roi défunt, alors que Philippe VI de Valois monte sur le trône de France en vertu de la loi salique. Les hostilités effectives débutent en 1338 sur le sol français : batailles, chevauchées et trêves émaillent ce conflit qui ne s'achève qu'en 1453 par la bataille de Castillon. Cette guerre franco-anglaise se double d'un conflit entre les Armagnacs et les Bourguignons : deux factions de la noblesse française ; et des pillages menés par des chefs d'armes qui préfèrent œuvrer pour leur propre compte en profitant de l'affaiblissement du pouvoir royal.


L'abbaye royale de Ferrières eut à souffrir de chacun de ces maux. Vers 1357 deux brigands ou "écorcheurs" comme on les nommait à l'époque, l'Anglais Robert Knolles et le Français Arnaud de Cervolles s'installent à Paley et à Chantecoq et mettent le Gâtinais en coupe réglée. Les terres dépendantes de l'abbaye sont pillées comme les autres, les revenus de la communauté baissent dangereusement faute de récoltes à engranger. L'abbé Jean de Sarthenay, conseiller des rois Philippe VI de Valois et Jean II le Bon, se réfugie à Paris, au collège de Cluny, avec la majorité des moines. Avec le règne de Charles V, la paix revient dans le royaume et la vie monastique reprend à Ferrières malgré les nombreux pillages. L'abbaye ruinée fait appel au roi et obtient un don important pour sa restauration.

Mais ce n'était qu'une trêve et la guerre reprend. En 1421, Henri V d'Angleterre, chevauchant à travers la France, s'empare de Ferrières et y laisse une garnison. Pendant six années les habitants vivent à l'heure anglaise. En 1427, poursuivis par les Montargois et surtout le comte de la Marche, duc de Bourbon, de nombreux soldats anglais sont retranchés dans la forteresse. Pressés par le nombre d'assaillants, ils se rendent après avoir allumé un incendie qui ravage Notre-Dame de Bethléem et l'abbatiale Saint-Pierre et Saint-Paul. Devant cet immense gâchis, les Ferriérois voient rouge et massacrent une partie des incendiaires sur le champ… de Saint-Macé. Selon Dom Morin, 2000 Anglais y ont perdu la vie. Mais les saints édifices n'en furent pas sauvés pour autant.

Les mouvements de soldats ont favorisé l'expansion d'une vaste épidémie arrivée d'Orient avec un navire marchand accosté au port de Marseille en 1348 : la peste noire. Transmise par la puce du rat, elle s'étend dans tout l'Occident, prélevant sa dîme de vies humaines, puis semble disparaître, pour mieux se répandre une dizaine d'années plus tard.

Entre 1378 et 1417, deux puis trois papes ont coexisté, chacun se prétendant le chef légitime de l'Eglise. Aujourd'hui encore, l'Eglise n'est pas parvenue à déterminer qui avait été le seul et véritable vicaire du Christ sur terre pendant ce grand schisme … A la mort de Grégoire XI, les cardinaux, poussés par les Romains, élisent un pape italien. Mais devant sa rigueur, des cardinaux français décident d'en choisir un autre, qui revient s'installer en Avignon. Chacun des deux prélats dispose alors de sa propre curie, susceptible d'élire un nouveau pontife en cas de besoin. Pour rétablir la situation, un concile nomme un troisième pape, et dépose les deux autres qui refusent de se soumettre…En 1417, après deux ans de pourparlers, le concile de Constance réussit à élire un souverain qui remporte la quasi unanimité et met fin à ce grand schisme d'Occident.


Les moines de Ferrières, comme tous ceux de France et le roi lui-même, ont reconnu le pape d'Avignon comme leur supérieur avant de se rallier aux décisions du concile.

La fin (temporaire) des crises

Dans la seconde moitié du XVe siècle, le royaume de France panse ses plaies. La menace d'une nouvelle attaque anglaise s'amenuise au fur et à mesure que ce pays plonge à son tour dans la guerre civile. Cependant la paix n'est pas la seule condition nécessaire au relèvement d'un établissement monastique : il faut aussi des moines, après plusieurs années de quasi abandon des lieux, et de l'argent. Beaucoup de monastères n'ont pu réunir les deux conditions et souvent se sont éteints définitivement à cette période.

Après plusieurs abbés qui n'ont pu réellement rétablir la situation, la petite communauté élit Louis de Blanchefort. Ce choix judicieux permet de bénéficier de l'aide bienveillante et efficace de Louis XI, prestigieux parrain de l'abbé et propriétaire de l'abbaye. Grâce à ce secours royal, l'abbé entreprend de grands travaux de restructuration. Utilisant les anciennes constructions (comme la forteresse), il donne à l'ensemble du monastère la configuration qui sera la sienne jusqu'à la Révolution française. A sa mort en 1505, il pouvait être fier, et les moines avec lui, du travail accompli.

Malheureusement, le royaume de France n'entrait pas dans une période propice au développement paisible des monastères.

Faux et usage de faux !

Dom Morin cite une charte de fondation de l'abbaye de Ferrières signée de Clovis. C'est en réalité un faux, réalisé par les moines eux-mêmes, pour pouvoir sans doute revendiquer la totalité de leurs biens après la guerre de cent ans. En effet, après les pillages de nombreux parchemins avaient disparu et pour appuyer leurs demandes l'abbé a, semble t-il, jugé préférable de présenter un texte… mais un faux texte !
Le faussaire a probablement fait un habile copier-coller, en utilisant le récit de la vision de saint Savinien et saint Potentien de son bréviaire, suivi de la reprise de la charte d'affranchissement de Philippe-Auguste en 1185. Voilà un indice irréfutable pour les historiens : Clovis ne peut pas affranchir les serfs en pleine époque mérovingienne, alors que justement on cherche à attacher au maximum les hommes à la terre.

 
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