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L'EPOQUE MODERNE

Le concordat

En 1515, un concordat est signé entre le pape Léon X et le roi François Ier. Il stipule que dorénavant, c'est le roi qui désignera l'abbé. Les bénédictins doivent donc renoncer à élire leur abbé mais accepter celui qui leur est imposé par le roi, on l'appelle abbé commandataire. Cela permet au souverain de récompenser des nobles de sa cour, aussi bien laïcs que religieux. Beaucoup sont plus intéressés par le revenu que peuvent leur fournir les abbayes, que par la direction spirituelle d'une communauté monastique.

Le premier abbé ainsi nommé à Ferrières, fut Pierre de Martigny.

Les guerres de religion

En 1517, Martin Luther, moine augustin à Wittenberg en Allemagne, s'oppose à la prédication des indulgences accordées par le Pape Léon X lors de la reconstruction de la basilique Saint-Pierre à Rome. S'ensuit une vive polémique qui aboutit, en 1520, à la condamnation de Luther par la papauté. Loin de se soumettre, le condamné répand sa nouvelle doctrine basée sur la prédestination : Dieu sauve qui Il veut, il est donc inutile d'accomplir des œuvres pour se sauver car la Foi suffit. En même temps, il rejette des pratiques traditionnelles comme le culte des saints. En 1534, le prêtre français Calvin adopte les thèses de Luther et s'installe en Suisse. L'introduction du protestantisme en France à partir de 1547 entraîne des débats passionnels, qui aboutissent à une série de huit guerres de 1562 à 1598.

Par la personnalité de leur abbé et de sa famille, les moines de Ferrières se sont trouvés plongés au cœur du conflit. Nommé abbé par Henri II en 1556, Odet de Coligny cumule cette charge avec de nombreuses autres fonctions ecclésiastiques. Entré sans vocation dans les ordres - sans doute parce qu'il est le deuxième fils d'une famille noble - il se convertit en 1560 à la religion réformée avec ses deux frères Gaspard de Coligny et François de Coligny d'Andelot. Tous les trois ont été parmi les chefs du parti protestant en France, et cependant, ont conservé longtemps la faveur d'Henri II et surtout de Charles IX. Odet de Coligny ne pouvait donc fermer son monastère aux troupes de ses coreligionnaires…

Le monastère a été attaqué par les Réformés à deux reprises. En février 1568, c'est le prince Louis de Condé, proche parent du futur Henri IV, chef du parti protestant et ami de la famille Coligny qui attaque et pille le monastère pendant trois jours. Aucun moine n'y laisse la vie mais les reliquaires et les richesses de l'abbatiale sont dispersés, les tombeaux de Louis III, Carloman et Louis de Blanchefort sont fortement endommagés et les saintes reliques, pieusement conservées durant des siècles sont brûlées avec les stalles. Au bout de trois jours, l'abbé fait cesser le pillage, craignant de voir diminuer la valeur de sa charge dont il continuait à percevoir les rentes.

Un an plus tard, en août 1569, un chef local, mais non moins redoutable, le chevalier Pierre du Boulay, pénètre dans l'abbaye. Six moines sont tués pour avoir refusé de dire où sont cachées leurs richesses, disparues quelques mois auparavant. Il reste le contenu de la bibliothèque : des manuscrits recopiés patiemment et conservés depuis l'époque carolingienne, sous l'impulsion d'Alcuin et de Loup Servat. Boulay est instruit et connaît la valeur de ces ouvrages, il les fait transporter à Souppes, dans son château de famille. Depuis, ils ont été dispersés, et peut-être en partie détruits.

Boulay parti, le monastère est exsangue : une partie des bâtiments est ruinée, il n'y a plus de réserves dans les greniers, d'argent dans les coffres ou sur les autels, la bibliothèque est vide, les moines n'ont même plus de stalles où s'asseoir dans l'abbatiale. Désormais, et jusqu'à la fin des guerres de religion, le monastère ne suscite plus de convoitise.

Le grand larron du Gâtinais.

Né aux alentours de 1515, de Guillemette de Poinville et de Pierre de Beaumont, Guillaume de Beaumont devient seigneur du Boulay le 16 juillet 1546, à la suite du décès de son père et de ses deux frères aînés. On ignore à quand remonte sa conversion au protestantisme. Cependant, dès 1567, il se lance dans le pillage des églises et la destruction des reliques, à Château-Landon tout d'abord puis dans la région de Vézelay, avant d'investir l'abbaye de Ferrières. En 1570 il pille Milly-en-Gâtinais. Ses compagnons sont arrêtés puis pendus mais il parvient à s'échapper. Il se retire à Courtenay où il meurt en 1572 ou 1573, d'un coup de pistolet reçu dans une auberge. Surnommé par Dom Morin le grand larron du Gâtinais pour tous ces méfaits, était-il aussi lettré et amateur de livres ? Le vol de la bibliothèque de l'abbaye tendrait à le faire croire.

Le retour à la paix

Une vingtaine de moines vivent à Ferrières quand, le 13 avril 1598, le roi Henri IV, qui a dû abjurer le protestantisme pour accéder au trône de France, proclame l'Édit de Nantes : en instituant la tolérance dans la pratique des deux cultes chrétiens, catholique et protestant, cet édit doit rétablir durablement la paix dans le royaume. Le temps des querelles est terminé, commence celui des reconstructions.

Pour cela, il faut de l'argent ; mais une fois de plus, la communauté de Ferrières est au bord de la ruine. Les abbés commendataires qui se succèdent ne s'en préoccupent guère : ils ne résident pas sur place, se contentent de percevoir leurs bénéfices, et donc les frères ne peuvent pas compter sur leur générosité. Le roi lui-même, propriétaire des lieux, a besoin d'argent… Ironie de l'Histoire, à la fin des guerres de religion, Henri de Bourbon, petit-fils du prince de Condé qui avait pillé le monastère en 1568, est nommé abbé commendataire ! N'étant pas clerc lui-même et sans doute pour ne pas rappeler de mauvais souvenirs en Gâtinais, il nomme pour le représenter un autre abbé - appelé abbé confidentiaire. En réalité c'est un troisième personnage qui exerce réellement le rôle de chef de la communauté religieuse : le grand prieur, élu par les moines comme l'était l'abbé avant le concordat de 1516.

C'est le grand prieur Dom Le Sourd qui mène à bien les travaux de reconstruction à partir de 1600. Il s'attache à restaurer les bâtiments conventuels, à consolider l'abbatiale, à reconstruire des stalles en obtenant le droit de couper des arbres dans la forêt royale de Paucourt. La charpente actuelle de l'église abbatiale date aussi de cette époque. Le monastère, plus présentable et surtout plus salubre, peut, de nouveau, accueillir les postulants qui frappent à la porte du couvent. Durant l'automne 1606, Henri IV, lui-même, accompagné de toute la Cour, vient admirer les restaurations. Dom Guillaume Morin, successeur de Dom Le Sourd, poursuit cette œuvre en restaurant l'église et la confrérie de Notre-Dame de Bethléem. Car après avoir donné un nouvel élan à la communauté monastique, pour lui rendre son rang de pôle religieux majeur dans la région, il fallait aussi inciter les pèlerins à reprendre le chemin de Ferrières. Dans ce but, le grand prieur rappelle les origines miraculeuses du pèlerinage, souligne tous les avantages pour le bon chrétien de renouer avec cette dévotion tombée en désuétude ; plusieurs miracles sont attribués à la médiation de Notre-Dame de Bethléem. Le succès ne se fait pas attendre. La reine Anne d'Autriche se fait inscrire à la confrérie, et son exemple est suivi par de nombreuses personnalités de la Cour.
Le temps des réformes

Les contestations protestantes sont nées de disfonctionnements à l'intérieur de l'Église. Celle-ci se rend vite compte qu'il ne suffit pas de lutter contre les thèses des Luthériens et des Calvinistes, il faut aussi opérer des réformes en profondeur. A l'initiative du pape Paul III, un concile est réuni pour préciser le dogme catholique, combattre les hérésies et trouver des solutions concrètes pour renforcer l'Église, comme la création des séminaires pour les candidats au sacerdoce. Les ordres religieux ne restent pas à l'écart de ce mouvement : de nouveaux ordres sont créés - par exemple, les Oratoriens, des enseignants ; d'autres se réforment. On essaie de retourner à la règle primitive fixée par saint Benoît, qui au cours des siècles s'était peu à peu assouplie, à Ferrières comme dans les autres centres monastiques. L'abbé de Saint-Germain-des-Prés à Paris, propose alors une application plus rigoureuse des préceptes bénédictins et regroupe tous les couvents qui s'y rallient dans une congrégation placée sous le patronage de saint Maur.

En 1621, Monseigneur André Frémyot devient abbé commendataire de Ferrières. Ce religieux, pieux et attentif aux débats religieux de son époque, souhaite intégrer son monastère à la congrégation de Saint-Maur.

Mais sur les vingt-quatre moines, un seul accepte de réformer sa pratique. Conciliant, l'abbé fait venir dix mauristes, auxquels il adjoint le frère "réformiste", laissant au reste de la communauté la possibilité de vivre comme autrefois ; toutefois les novices sont formés à la nouvelle pratique. Ainsi l'abbaye s'intègre, petit à petit, aux réformes.

Le Jansénisme

Cependant, en même temps que l'Église catholique se réforme en retournant aux sources de ses pratiques, de nouvelles divergences apparaissent. L'évêque français Jansénius (1585-1638), propose une doctrine censée revenir à celle de saint Augustin, mise à l'index en 1641. Ses écrits eurent tout de même une grande influence aussi bien chez des laïcs, comme Blaise Pascal, qu'au sein de communautés religieuses, dont la plus célèbre est Port-Royal-des-Champs.

Entre 1720 et 1780, certains moines de Ferrières adhérent à ces idées : leurs pratiques en témoignent. Les Jansénistes insistent sur la condition humaine marquée par le péché qui, d'après eux, serait un frein à l'action de la grâce, voire une preuve de son absence. Dans cet état d'esprit et par excès d'humilité, certains refusaient les sacrements, même face à la mort : Dom François Lhuillier, moine et prêtre, choisit de ne plus célébrer la messe durant les douze dernières années de sa vie ; Dom Jean-Baptiste Simonnot, malade, refuse de recevoir l'extrême-onction et meurt sans avoir changé d'avis.
Le Siècle des Lumières

La fin du XVIIIe siècle fut une période de profondes transformations en France. La monarchie absolue est critiquée et nombreux sont les philosophes qui voient dans le système anglais de la monarchie parlementaire un modèle à appliquer. Dans le même temps, l'Église, qui est restée un des piliers de la société d'Ancien Régime malgré les guerres de religion, est elle aussi montrée du doigt. Les philosophes voudraient substituer à une religion d'État, le principe d'une liberté religieuse totale. Ces idées, répandues dans la société et parmi les lettrés par les écrits des philosophes et surtout par l'Encyclopédie rédigée sous la direction de Diderot, sont d'autant mieux acceptées que la pratique quotidienne de la religion s'affaiblit. Les communautés monastiques elles-mêmes sont touchées : en 1768, un édit royal statue sur le sort des couvents désaffectés. Au début du XVIIIe, la franc-maçonnerie arrive en France, en provenance d'Angleterre. Organisée sous forme de loges, c'est-à-dire de petits groupes de personnes souhaitant réfléchir et mettre en pratique les valeurs de liberté, égalité et fraternité, elle devient un relais des idées des Lumières et rencontre un rapide succès : à la veille de la Révolution, 3000 loges existent dans au moins 363 villes du royaume.


Les papes Clément XII, en 1738, et Benoît XV, en 1751, condamnent la franc-maçonnerie ; malgré cela une loge s'organise à l'intérieur même de l'abbaye de Ferrières. Créée en 1786, sous l'impulsion de Dom Carlier, la loge Sainte-Emilie rassemblait quatre des neufs moines présents. Il est permis de se demander comment des moines bénédictins, cloîtrés dans leur couvent, ont pu adhérer à une doctrine qui exige pour ses adeptes une initiation. Comment les moines non-initiés ont-ils réagi ? Et surtout comment les frères conciliaient-ils culte catholique et rites francs-maçons ?
 

Sainte Elisabeth, un temple maçonnique ?

Les francs-maçons se réunissent dans une loge dont la forme générale doit répondre à quelques critères bien précis. Ce temple doit être de forme rectangulaire. L'entrée est située à l'Occident, alors que l'édifice est tourné vers l'Orient ; le côté droit en entrant est au sud, le gauche au nord. Le plafond doit être une voûte représentant un ciel étoilé. On peut donc supposer que le lieu de rassemblement des moines francs-maçons de l'abbaye de Ferrières était la chapelle Sainte-Elisabeth dont la description correspond à ces indications.

La révolution française

En 1789, la situation de la France ne cesse de se dégrader ; la situation catastrophique des finances du pays, à laquelle s'ajoute une crise frumentaire, nourrit le mécontentement. Louis XVI convoque les États Généraux et demande au peuple de rédiger des "cahiers de doléances" pour préparer cette grande réunion. On connaît la suite : après la séance d'ouverture des États généraux, le 4 mai 1789, le roi est débordé par les représentants de ses sujets, dont la majorité, rassemblée dans la salle du Jeu de Paume, jure de ne pas se séparer sans avoir rédigé une constitution. Dans une sorte d'euphorie, mêlée de peur, la monarchie s'effondre petit à petit, incapable de dompter les forces populaires qu'elle a mises en place.
L'assemblée constituante, après avoir voté l'abolition des privilèges dans la nuit du 4 août 1789, déclare le 2 novembre tous les biens ecclésiastiques propriété de l'État et, sous le nom de biens nationaux, les met en vente. Puis, en février 1790, elle supprime les vœux monastiques.

En juin 1790, les moines de Ferrières sont encore dans leur couvent mais ils doivent le quitter avant la fin de l'année. Les frères affiliés à la franc-maçonnerie reviennent à l'état laïc ; les cinq autres tentent bon gré mal gré de rester fidèles à leurs vœux. Aucun ne périt sur l'échafaud. Cependant une nouvelle fois les bâtiments, laissés sans gardien, sont mis au pillage, non pas par des étrangers ou des voisins jaloux, mais par les habitants même du lieu.

Lorsque le libre exercice du culte catholique fut rétabli, pour la première fois de son histoire, il ne se trouva aucun religieux ni bienfaiteur laïc pour relancer la vie monastique à Ferrières. Le temps des moines s'est éteint avec les débuts mouvementés de l'époque contemporaine. Le pas feutré des cénobites a laissé la place aux bruyants paroissiens et aux visiteurs curieux. Le pape et le roi ont laissé leur bien aux monuments historiques. Mais quel que soit le siècle, la tâche reste la même : entretenir les vastes édifices - ou plutôt ce qu'il en reste - pour les transmettre à nos descendants…

Depuis l'arrivée de saint Savinien, saint Potentien et saint Altin, un jour d'hiver, au IIIe siècle, jusqu'au départ des neuf derniers moines, sans doute durant l'été 1790, quinze siècles se sont écoulés. L'histoire de ces mille cinq cents ans est à la fois le reflet de l'Histoire de la France et de l'Église. Ainsi, à neuf reprises le monastère a dû être reconstruit ou restauré et autant de fois, il a été détruit partiellement ou totalement. Avec ses murs les moines ont parfois relevé les corps de leurs frères, mais aussi de laïcs, tués dans les édifices même où ils pensaient trouver une protection. Guerres fratricides de l'époque mérovingienne, invasions diverses, guerres de cent ans et de religion : les peuples heureux n'ont pas d'histoire, dit-on, et celle des Ferriérois est longue. Ils ont vécu de très près beaucoup d'événements tragiques, sans oublier les conflits qui ont parfois divisé les moines entre eux. Pourtant, après chaque destruction, monastère et maisons ont été reconstruits.
Il s'agit peut-être là d'un autre miracle de Ferrières. Neuf fois le village et le couvent auraient pu être abandonnés par des survivants découragés, et neuf fois ils ont été rebâtis, toujours dans un même site. Leur courage et leur volonté font qu'aujourd'hui ce ne sont pas des ruines que l'on visite, mais une petite cité bien vivante, qui connaît son passé et en tire sa force pour avancer vers l'avenir. Pourtant, ce que l'on peut encore voir aujourd'hui de l'abbaye n'est qu'un bien pâle reflet de ce qui fut l'une des grandes abbayes bénédictines européennes.
CONSTRUCTIONS / DESTRUCTIONS / RESTAURATIONS /
RECONSTRUCTIONS DE L'ABBATIALE
Sous Clovis
Début VIe siècle ?

Première construction d'une abbatiale.

607

Pillage et destruction partielle par Théodebert et Thierry, petits fils de Brunehaut.

620

Reconstruction par Wandelbert, gouverneur du Gâtinais

774

Restauration partielle ?

Après 774

Pillage et destruction partielle par les Saxons.

821 - 829

L'abbé saint Aldric décide une reconstruction.
Réalisation de la première coupole

937

Pillage et destruction par les Hongrois

Seconde partie du Xe siècle

Reconstruction

Entre 987 et 997

Foulque Nerra s'empare d'une partie des terres de l'abbaye.

Vers l'an 1000

Foulque Nerra aide à la restauration du monastère.

Vers 1140

L'abbé Amaury décide une reconstruction, introduction du style gothique

Guerre de Cent Ans
Vers 1357
1427

Pillages et destructions :
 - Pillage des terres par Robert Knolles et Arnaud de Cervolles
 - Incendie des églises par les Anglais

1453 - 1465

Quelques restaurations

1465

Louis de Blanchefort entreprend une reconstruction générale.

1568 et 1569

Pillages et destructions pendant les guerres de religion

1600

Dom Le Sourd élu grand prieur entame la restauration de l'abbatiale.

1739

Le clocher en plomb au-dessus de la coupole s'effondre sur le bas-côté.

1790

L'abbatiale devient église paroissiale.

Vers 1840
.

Reconstruction d'un clocher, mais il penche. Le bas-côté est définitivement démoli
Réouverture de l'abbatiale comme lieu de culte.

Fin du chapitre "Une abbaye au coeur de l'histoire"