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Un présent tributaire du passé

Coquette bourgade de 3000 habitants, Ferrières s'étend de part et d'autre de la Cléry, rivière sinueuse, comme le Loing dans lequel elle se jette, qui entaille la partie occidentale du plateau du Gâtinais bourguignon. Ses points culminants dépassent quelque peu les 100 m et surplombent d'environ 20 m la vallée de la rivière.
Son territoire est délimité à l'ouest par la commune de Fontenay dont les terres occupent la vallée du Loing et les escarpements au-dessus de la Cléry ; au nord et au nord-est par celles de Dordives et de Bransles dont les frontières avec Ferrières sont déjà attestées au XIe siècle dans la charte d'affranchissement des habitants. Ferrières s'étend plus largement vers l'est, sur le plateau, en direction de Chevannes, Chevry-sous-Le Bignon, Le Bignon-Mirabeau. Nombreux y sont les hameaux, d'occupation ancienne, et les grosses fermes closes de hauts murs. Au sud, au-delà de l'ancien étang des moines mis en pâture et culture à la fin du XVIIIe siècle, ce sont les communes de Griselles, de Paucourt et la forêt domaniale de Montargis.
La superficie de Ferrières est directement issue de la confiscation des biens monastiques de 1790. L'abbaye bénédictine affermait à proximité de la ville, près de la rivière et sur le plateau, des biens importants : la ferme de Courtépée, ses bois et ses cultures ; la métairie du Grand Crachis ; la métairie de Bel Air ; les moulins de Saint-Eloi. Elle avait aussi l'étang qui barrait le cours de la Cléry, le fief de Ferrières et sa banlieue dont elle retirait une dîme confortable et dont elle possédait l'église et les chapelles.
En 1791, le conseil de la commune procède au découpage du territoire. Il en obtient huit grandes sections, reprises sur le cadastre de 1832 et encore en usage : Cléry, Malépine, Petit Ambreville, Grand Ambreville, l'Étang, Saint Lazare, Rue du Poêlon, la Ville.
Cet héritage des moines a pesé lourd dans la vie de la cité et est encore visible dans la répartition des zones du Plan d'Occupation des Sols (devenu Plan Local d'Urbanisme - P.L.U.). La commune n'a pas pu se développer à l'ouest, alors que s'y trouvent les deux axes importants de la circulation moderne, la route nationale n°7 et le chemin de fer, car les terres occupées par le lit majeur de la rivière sont en zone inondable. Les parcelles proches de la route nationale sont trop vallonnées. Il a fallu sacrifier des terres à vocation agricole à l'est sur le plateau pour y installer une zone industrielle suffisamment vaste pour être attirante. Cependant y accéder n'est pas facile par les grandes voies d'échanges de notre époque. Les voies traditionnelles des échanges antiques et médiévaux, les routes de Montereau à Montargis et de Sens à Orléans se coupent encore en limite d'enceinte abbatiale et même si d'importants travaux ont été accomplis au XIXe siècle pour désenclaver Ferrières avec l'élargissement des voies et l'accès à la Nationale 7 et à la gare, la circulation reste un problème. C'est souvent la rançon d'un substrat urbain ancien.
Ferrières est par ailleurs un chef-lieu de canton de l'arrondissement de Montargis depuis 1790, date de la création des départements ; 16 communes lui sont rattachées : 4 sur le plateau oriental (Chevannes, Chevry-sous-Le Bignon, Le Bignon-Mirabeau, Griselles) ; 4 dans la vallée du Loing (Fontenay, Dordives, Nargis, Préfontaines) ; 8 dans l'autre Gâtinais, celui d'outre-Loing (Corbeilles, Courtempierre, Girolles, Gondreville, Mignères, Mignerette, Sceaux, Treilles). Elles constituent, depuis le 13 décembre 1996, la communauté de communes des Quatre Vallées. Il était très facile, et ce depuis l'antiquité, d'accéder à cette partie occidentale par des gués ou des ponts en passant par Fontenay, ou Nargis, ou Dordives dont la voie romaine allait à Sceaux. Au Moyen Age, les habitants de ces agglomérations avaient le droit de s'abriter dans la forteresse de Ferrières et l'abbaye y possédait de grands fiefs dont de nombreuses églises paroissiales.
Faut-il voir dans les équations mathématiques des décideurs de 1790 la survivance de la mainmise temporelle de l'abbaye, le souvenir inconscient d'une unité territoriale antique ou de froids calculs de répartitions de suffrages ? Car à notre époque, à part les élections cantonales et un comice agricole tournant, qu'est-ce qui unit les habitants de ces contrées ?
Des pierres, du fer, de l'eau

Le relief, la nature, des événements historiques déterminent souvent l'installation des populations et conditionnent leurs activités. Les hommes de la préhistoire ont trouvé sur le Ferriérois des conditions de vie acceptables : un plateau argileux propice aux implantations d'habitats, du grès, du poudingue et du silex facile à extraire, une zone de passage entre deux vallées (Betz-Cléry et Loing) grâce à de nombreux gués praticables et la proximité de deux grands axes de circulation : la vallée de la Seine et celle de l'Yonne.
Le matériel paléolithique récolté systématiquement depuis cent cinquante ans est abondant : bifaces, pointes, lames, racloirs.
A la période suivante, au néolithique, les premiers agriculteurs apparaissent très actifs. Ils fabriquent des pics, des haches polies ou taillées (les polissoirs des communes environnantes de Mérinville ou de Dordives sont répertoriés dès le XIXe siècle). Ils élèvent des menhirs à Ferrières, à Pers-en-Gâtinais, à Chevannes, à la Selle-sur-le-Bied et coupent leurs céréales grâce aux "racloirs à encoches" en silex. Ils confectionnent des pointes de flèches à pédoncule et à ailerons et font des échanges ou se déplacent au loin. Car il n'est pas rare de trouver des haches polies en roche étrangère à la région.
Menhir de la Grande Roche
Commune de Pers-en-Gâtinais
De gauche à droite :
hache néolithique polie en roche étrangère ; biface paléolithique ; haches néolithiques polies en roches locales.
C'est à la période gallo-romaine que Ferrières entre dans l'histoire. Elle fait partie du territoire d'une tribu gauloise, les Sénons, (dont la ville de Sens tire son nom) qui contrôle les basses vallées de l'Yonne et de la Seine et la vallée du Loing. Très actifs, ils suscitent, en 53 avant J.-C., la révolte contre les Romains avec leurs voisins les Carnutes dont l'une des villes, Cenabum (Orléans), est sévèrement châtiée par César pour en avoir été le point de départ en massacrant les négociants romains qui s'y étaient installés. Les Sénons ont des places fortes plus ou moins importantes (Melun au nord ; Château-Landon à l'ouest ; Château-Renard à l'est ; Sens au nord-est), des lieux de rassemblements près de sources sacrées bienfaisantes : Chateaubleau en Seine-et-Marne, Sceaux-du-Gâtinais dans le Loiret, ou encore Monbouy près de Châtillon-Coligny.
Ces liens directs entre Ferrières et ses ancêtres Sénons transparaissent dans la légende de fondation de l'abbaye : pas de liaison avec Orléans, le chef-lieu actuel du département du Loiret, mais avec Sens. Les fondateurs ne sont ni saint Avit, ni saint Aignan ni saint Martin, pourtant grands pourfendeurs d'idolâtres, mais saint Savinien et saint Potentien, qui viennent de Sens évangéliser le Gâtinais. Après avoir accompli leur mission, les saints hommes s'en vont. Saint Savinien se fait massacrer dans le faubourg de Sens qui porte son nom. On y édifie une église. Ces faits sont rapportés dans la Chronique de Saint-Pierre-le-Vif à Sens, rédigée par un moine du XIIIe siècle, Geoffroy de Courlon. Or, son couvent, voisin de l'église Saint-Savinien, est créé par une charte de Theodechilde, fille ou belle-fille de Clovis qui lui octroie des terres. L'abbaye de Ferrières est établie par Clovis qui lui donne les terres qui deviendront sa banlieue. Durant tout le Moyen Age, des échanges se font entre les deux monastères.
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Les ferriers avérés du pays des Senons
Des routes

Un réseau dense de chemins sillonne ce territoire, qui occupe une position clé dans les échanges commerciaux.
Certaines routes sont directement liées à l'exploitation et au traitement du minerai de fer, une industrie florissante chez les Sénons. C'est le cas de la grande route de Sens à Orléans, le "chemin de César". Abondants en Puisaye, dans le Sénonais, dans le Gâtinais, les gisements sont très tôt rentabilisés, certains dès le IVe siècle avant J.-C. Leur mise en valeur est systématique à l'époque romaine, en particulier aux IIe et IIIe siècles après J.-C. Elle dure jusqu'au VIIIe siècle, très souvent reprise par les moines. Ferrières doit son nom Ferrariae au terme latin Ferraria qui désigne des établissements liés au fer. Cette petite ville et ses voisines Dordives et Bransles sont la partie la plus occidentale des gisements sénonais dont les restes sur le plateau sont encore visibles : Saint-Serotin-Brannay à l'ouest de Pont-sur-Yonne, Cheroy-Vallery, Saint-Valérien, Villebougis, Montacher, Pers-en-Gâtinais, La Selle-sur-le-Bied, Saint-Hilaire-les-Andrésis. Tous ces lieux sont en liaison avec la voie romaine. Il ne reste pas grand-chose des gisements ferriérois que les historiens du XIXe siècle localisent vers Griselles. Les seuls témoins de ce passé actif sont une occupation antique du IIe au IVe siècle au pied de l'abbaye, dans la cour des Forges, des allusions chez des auteurs anciens du XVe siècle au XVIIIe siècle et des lieux-dits cadastraux. En 1779, dans son rapport sur le Gâtinais, le docteur Gastelier indique que les forges ne sont plus guère florissantes et en 1789, plus aucun Ferriérois ne travaille le fer.

Le " chemin de César "

Axe transversal est-ouest qui occupe le nord du Gâtinais, le "chemin de César" raccorde à l'époque gallo-romaine la ville de Agedincum (Sens) au bord de l'Yonne, chez les Sénons, à Cenabum (Orléans) chez les Carnutes. Cenabum est un point important pour le ravitaillement et le commerce du blé, un passage important entre les parties nord et sud du territoire carnute car elle est dotée d'un pont sur la Loire.
Cette voie est importante pour les échanges commerciaux entre l'est et l'ouest, elle a l'avantage de traverser peu de zones marécageuses. Elle part de Sens, monte sur le plateau en direction de Saint- Valérien qu'elle traverse. Elle se dirige en ligne droite vers Dordives où un pont enjambe le Loing, par Montacher, Jouy, Chevannes, Bransles. Elle fait un écart autour du Metz-le-Maréchal, région fort marécageuse et de traversée difficile. De l'autre côté du Loing, elle passe aux pieds de Château-Landon, traverse les marais de Sceaux-du-Gâtinais, aboutit au sanctuaire de la déesse Segeta ; elle quitte le territoire sénon près du petit village de Feins (il tire son nom du mot latin fines, la frontière, la limite).
La tradition l'appelle le "chemin de César" ; on pense qu'il s'agit d'abord d'un axe gaulois que les romains ont amélioré, comme bien d'autres routes, au moment où la Gaule celtique devenue province est dotée d'un réseau routier surveillé par Agrippa, le gendre de l'empereur romain Auguste.
Elle est reliée, par Sens, à de grands axes commerciaux :
       - la voie de Sens à Boulogne sur Mer (la voie Agrippa),
       - la voie de Sens à Troyes et Langres,
       - la voie de Sens à Autun et Lyon.
Elle est reliée par des voies secondaires aux établissements industriels de la Puisaye et à la Loire. Certains tronçons sont bien connus, vers Courtenay et Triguères, vers Montargis, ou dans la Puisaye auxerroise.
La route départementale recouvre cet itinéraire de Saint-Valérien aux environs d'Egreville. Elle est encore visible sous forme de chemin entre Jouy et Chevry-sous-Le Bignon. Ferrières s'y rattache par Jouy, Chevannes, Bransles, Dordives.

Autour de Ferrières, les voies de communication portent la marque de ces échanges privilégiés vers l'est. Elles forment un éventail dont la ville est le pivot : le choix est grand pour se diriger vers l'est, vers le Sénonais, que ce soit par les routes goudronnées ou les chemins enherbés. Des voies secondaires quadrillent l'espace et relient les villages de cette partie du plateau, dont la plupart ont un riche passé lié à l'abbaye et aux ferriers antiques ou médiévaux dont on a retrouvé des vestiges. La liaison nord-sud en limite de vallée est, elle aussi, facile ; au nord, elle ramène sur la voie romaine, par Dordives ; la partie sud-est, de nos jours, empruntée par les Ferriérois soucieux d'éviter la nationale 7 pour aller à Montargis par Paucourt : c'est la "route de la forêt" qui débouche à Montargis dans le quartier de la Chaussée, voie romaine en rive droite du Loing, reliant Montargis à la Puisaye. Pour se rendre dans la partie ouest du canton, le chemin est plus spectaculaire et devait être pénible à l'époque des attelages. Il faut traverser la "montagne" pour passer de la vallée de la Cléry à celle du Loing. La route de Paris par Saint-Lazare est de création récente, à la fin du XIXe siècle ; la rue de la Chaîne est rude à monter et la plus spectaculaire est la bifurcation plein ouest près du gué de Maison-Rouge, restes d'une voie est-ouest très ancienne.
Quant au "chemin des bœufs" qui traverse les hameaux "est" de Ferrières et relie par le plateau La Selle-sur-le-Bied à Dordives, il pourrait être, selon des érudits locaux du XIXe siècle, la trace d'une voie antique (romaine ou pré-romaine) du bassin de l'Yonne au Bassin parisien puis en direction de l'Armorique, voie réutilisée au Moyen Age. Cet axe avait encore son importance au XIXe siècle car les élus municipaux insistent pour la moderniser en direction de Courtenay ; ils l'appellent aussi le "chemin de Saint-Julien-du-Sault" ; il permet d'aller à Auxerre.
Enfin, un autre détail indique les rapports étroits entre Ferrières et Sens. Sous la pression des orfèvres et forgerons, l'église paroissiale dédiée à saint Amand perd son patron au profit de saint Eloi. Ce même saint Eloi protège la paroisse de Montacher dans l'Yonne : ce village appartient à l'abbaye de Ferrières qui en touche la dîme et en nomme les curés au grand dam de l'archevêque de Sens qui y prétend ; au XIIIe siècle, les discordes sont vives. Il y a de très nombreux ferriers à Montacher. A qui rapporte cette industrie ?

Si le sous-sol ferriérois a permis un développement industriel précoce, il a conditionné d'autres pratiques.
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Scories globuleuses tirées de ferriers locaux
La plupart des terres sont sur de l'argile à silex ; les veines calcaires ou crayeuses sont profondes ; c'est plutôt la marne qui domine. Exploitée, elle a amendé les terres. Des marnières sont encore bien visibles sous les fouillis de ronces dans le hameau de Tirlande ou dans les faubourgs du pays. Certaines servent de remises aux habitations construites à flanc de coteau.
Des fours à chaux sont répertoriés au XVIIe siècle et une tuilerie s'implante au début du XIXe siècle au lieudit Courtépée. Elle rapporte peu, le quart d'un moulin à tan. En revanche, silex et poudingue sont exploités massivement ainsi que le grès cliquart quand il peut être débité. Ils servent à la construction des habitations qui ne sont pas toutes en pierre de taille (pierre de Souppes ou de Château-Landon) et aux murs de clôture. Sous le crépi moderne qui les recouvre et tombe par endroits, il est facile de les reconnaître. Au XIXe siècle, les chemins de la commune, boueux, malaisés, souvent impraticables l'hiver par temps de pluie, doivent être remblayés régulièrement. De vastes carrières de poudingue et de silex sont ouvertes. Les traces les plus importantes en sont encore visibles au hameau de la Genetière.
Ferrières a toujours eu sur son territoire de vastes bois, certains jouxtant la forêt de Montargis. Exploité à outrance pendant des siècles pour alimenter les forges, le bois est devenu cher et rare à la fin du XVIIIe siècle, rendant le commerce du fer peu rentable. Une grande partie est expédiée à Paris et prive l'industrie locale de matière première. Les tanneurs prennent donc le relais des maîtres de forges, certains à la fin du XVIIe siècle, la plupart au milieu du XVIIIe. La qualité des eaux de la Cléry et l'écorce des chênes locaux, apportée à peu de frais et broyée sur place ont contribué à fixer cette industrie pendant deux cents ans. Vers 1850, les deux moulins à tan sur la Cléry sont d'un bon rapport. L'eau de la rivière fait également tourner deux moulins à farine, à Saint-Eloi, qui sont les exploitations les plus rentables du pays.
De nos jours, la Cléry ne joue plus de rôle industriel, mais ses abords offrent des promenades et des circuits pédestres intéressants. Quant aux bois, quand ils ne sont pas lotis, ils sont entretenus pour la chasse et exploités en bois de chauffe par leurs propriétaires qui y coupent du charme et de l'acacia. Les chênes, s'ils sont beaux, peuvent être vendus en bois d'œuvre.