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Les habitants de ce pays : où vivent-ils ?

Si l'on replace les habitants de Ferrières dans l'histoire, on s'aperçoit qu'ils y font parler d'eux assez tôt puisque les documents écrits font état de leur existence dès le 1er siècle de notre ère. La tradition ecclésiastique écrite en fait de pauvres forgerons aux mœurs hospitalières, sensibles à l'évangélisation. Ils s'agglomèrent vite autour de l'oratoire bâti par saint Savinien. La tradition populaire en fait des forgerons, certes, mais vivant dans des "paillottes" au flanc de la montagne Saint-Eloi. L'ermitage en bois du Ve siècle dont parle Tranquille Picard, dédié à saint Amand et remplacé par la première église paroissiale en dur (voir Hors les murs, Le cimetière et l'église Saint-Amand et Saint-Eloi), fait songer à un établissement gaulois en hauteur, avec son temple indigène, le fanum. Cette tradition orale insiste aussi sur la séparation entre Ferriérois et abbaye. Or c'est vers le nord que s'étend le village. Le "grand chemin" de Montereau à Montargis, avant les travaux du XIXe siècle, passe devant l'église Saint-Eloi, descend par la rue de la Denizerie, emprunte la rue de Bourrienne et le faubourg du Perray : l'une des deux portes fortifiées de la ville au même titre que la poterne Saint-Mathurin (au bout de la rue Fonteine-Bourgoin) surveille cet accès et les rues qui se coupent à angle droit dans la partie ancienne (rue Fonteine-Bourgoin, rue des Vieilles Halles, rue du Lion d'or et rue des Charrières) ressemblent au plan orthogonal des cités de fondation gallo-romaine ou mérovingienne. La Grande Rue n'a pas de fonction propre dans l'élaboration du plan de la ville ; elle épouse tout simplement le tracé du rempart de l'abbaye. Peut-on voir dans ces forgerons des Gallo-Romains déjà bien organisés dans une petite bourgade rurale : un vicus ? Les textes parlent du "bourg de Bethléem" précédant le nom de Ferrières.
C'est encore la tradition ecclésiastique qui fait mourir quatre cents Ferriérois sous les coups des Huns qui les massacrent. Il est vrai que sous la plus profonde des couches archéologiques au-dessus desquelles la chapelle Notre-Dame de Bethléem actuelle s'élève, ont été retrouvés en 1896 quantité d'ossements brisés et calcinés sur une couche de cendres correspondant à une destruction.
Les habitants de Ferrières, au Moyen Age, dépendent de l'abbaye, qui possède des terres sur lesquelles ils vivent. Mais ils acquièrent leur liberté grâce à leur charte communale. Ils peuvent circuler où bon leur semble et prendre femme où ils veulent, à condition qu'elle soit libre. C'est ce qui permet leur dynamisme. Ils occupent largement le territoire communal y compris les écarts et les hameaux. Les grandes fermes sont également installées. Vie agricole et vie industrielle y sont actives, à preuve les taxes et redevances de toutes sortes perçues par l'abbé pour les bois, les vignes, les terres, les ateliers, l'étal des commerçants, les granges et les maisons à chaque fois qu'il s'en construit. La vie palpite à Ferrières et dans les environs, c'est ce que constate en 1490 le roi Charles VIII lorsqu'il donne l'autorisation aux religieux qui ont droit de haute et basse justice, d'installer leurs fourches patibulaires sur le "grand chemin (royal) de Fontenay et non à Ferrières même, car ledit chemin en ladite banlieue (s.e. de Ferrières) est le plus grand commun passage que fréquentent mariniers, forgerons, gens de bois inconnus et autres divers états et conditions."
Si le XVIIe et le XVIIIe siècle aménagent au mieux l'espace intra muros, les constructions dès le début du XIXe siècle occupent les faubourgs, au-delà des portes et des fossés. Des granges et des fermes augmentent la taille des hameaux du plateau. Quant au XXe siècle, il a vu pavillons et lotissements remplacer les labours à Birague, route de Griselles, rue du Poêlon, rue des Roches, à Saint-Guy, aux Hautes Vernes, aux Collumeaux, dans les bois de Ferrières aux Gros Bois, au Petit Crachis, à la Croix Poirier, à la Queue de l'Étang.
Renouvellement de la population et sang neuf étranger à la commune ont largement contribué à cet état de choses car seuls 20% des patronymes perdurent entre les plus anciennes archives communales disponibles (fin XVIIe siècle) et notre époque.
Les habitants de ce pays : qui sont-ils ?

Si les Ferriérois passent pour accueillants dans la tradition religieuse, ils tiennent à faire entendre leur voix quand ils en ont l'occasion. Les archives auxquelles on peut se reporter font état d'exemples intéressants :
En 1358, pendant la guerre de cent ans, ils exposent au roi Charles V leur extrême dénuement, et se voient remettre leurs impôts.
En 1427, quand les Anglais ne tiennent pas leur promesse de quitter la ville sans l'incendier et la piller, les Ferriérois se ruent sur eux et les massacrent sans pitié.
En 1471, les bourgeois en difficulté se plaignent. Louis XI les dispense d'impôt pour l'année. En 1529, ils obtiennent de François 1er l'autorisation de relever leurs murailles malgré l'opposition des habitants de Montargis et de Nemours qui redoutaient une occupation de la ville par des ennemis éventuels.
En 1776, ils élèvent le ton face à l'abbé qui leur refuse le droit de libre pâture dans l'étang asséché depuis les années 1771-1772 et le droit d'abreuver leurs bestiaux à la rivière qui le traverse.
En 1789, ils n'hésitent pas à dénoncer tous les droits à acquitter qui entravent le commerce, à proposer un impôt foncier sur leurs surfaces cultivées, à demander un versement direct des impôts au roi, sans passer par les intermédiaires.
En 1790, ils revendiquent encore une fois leurs droits sur l'étang devant les risques de sa vente comme bien ecclésiastique. Et ils se plaignent au district révolutionnaire de Montargis d'être surtaxés et d'avoir à entretenir les indigents, tâche dévolue auparavant aux religieux.
En 1791, ils réclament l'église abbatiale comme église paroissiale et obtiennent gain de cause. En 1837, ils veulent le rétablissement de leur fête patronale de la Saint-Pierre, abolie à la Révolution. Le maire le leur fait obtenir.
En 1863, la commune proteste auprès des tanneurs des Collumeaux qui ont annexé le chemin communal, déplacé le chenal de la fausse rivière comme s'ils en étaient les propriétaires. Un procès s'engage en 1864.
Toujours en 1863, ce sont des conseillers qui se plaignent des budgets trop lourds. Le maire doit rappeler tous les travaux effectués depuis 1830, conformément aux lois et dans l'intérêt général (voierie, éclairage, noms des rues, instruction des enfants, etc.)
En 1879, mécontents, les habitants des hameaux de Brunelle, d'Ambreville et des Templiers se plaignent du mauvais état de leur route et proposent de la remblayer à leurs frais s'il le faut.
Enfin, plus près de nous, en 1909, ce sont les riverains de la place Saint-Macé qui n'hésitent pas à pétitionner et à se plaindre du bruit occasionné par la fête traditionnelle de la Pentecôte et le bal qui s'y tient. D'autres, éloignés du centre ville demandent l'installation d'une boîte à lettres dans le quartier de la place Terre Chaude…

Tout, hélas ! n'est pas automatiquement acquis et la Fortune se montre parfois cruelle.
Le procès contre les tanneurs est perdu ; les conflits entre la municipalité et ses administrés tournent parfois à l'aigre, l'ancien étang des moines est une source constante de déboires et de débours, il faut insister plus de cinq ans pour obtenir une pompe à incendie en 1827 et attendre au moins aussi longtemps pour qu'un pharmacien puisse s'installer en 1867. Aussi, lorsqu'ils veulent "le beurre et l'argent du beurre", le Pouvoir a tôt fait de rappeler les habitants à l'ordre.
Deux anecdotes sont instructives. Elles concernent des temps troubles.
En 1379, les Ferriérois s'engagent à effectuer des tours de garde diurnes et nocturnes dans le château fort royal adossé à l'abbaye et à participer à des réparations éventuelles moyennant la possibilité de s'y réfugier en cas de guerre. En 1382, il faut la venue du bailli de Sens (dont Ferrières dépend) et du représentant du roi, pour les décider à monter la garde !
En 1595, fatigués par les passages continuels de la soldatesque, ils refusent, avec force quolibets, l'entrée de leur ville au connétable de Bourbon. Quand les notables se plaignent au roi de la vengeance des troupes, celui-ci leur répond "Le soir, vous avez fait les fous, il fallait faire le lendemain les enragés.".

Malgré tout, s'il faut se montrer solidaire et généreux, les habitants sont prêts.
En 1826, lors d'un orage violent, la foudre s'abat sur la bergerie d'une ferme assez éloignée du bourg. Sitôt prévenu, le maire fait sonner le tocsin et, en 15 minutes, la population entière a pu se rendre sur les lieux pour aider les fermiers et faire la chaîne pour éteindre le feu.
Lorsque de vieux soldats de la République ou de l'empire sont dans le besoin, le maire n'hésite pas à solliciter un secours officiel pour ces concitoyens sans ressources et sans famille pour les assister.
D'autre part, les indigents et nécessiteux (15% de la population en 1790 ; une vingtaine de familles sous le Second Empire, un peu plus en 1900) sont pris en charge par la communauté. Ils reçoivent du pain régulièrement dès 1792 ; des crédits sont prévus sur le budget de la commune et la liste des bénéficiaires mise à jour chaque année. Quand l'école est possible à Ferrières, les garçons, puis les filles des familles indigentes sont dispensés de payer. De plus, tout au long du XIXe siècle, des legs de particuliers fortunés permettent au bureau de bienfaisance de soulager la misère et à chaque fois que le budget prévisionnel de la commune est dépassé, les "plus fort imposés" avancent les sommes nécessaires.
Les habitants de ce pays : que font-ils ?

A la lecture des documents du XVIe et du XVIIe siècles, se dessine une élite liée à l'administration royale : le procureur fiscal, le greffier, le lieutenant du baillage, le notaire, le chirurgien, le recteur des élèves.
Une autre élite, liée au commerce et à l'artisanat se met en place timidement à la même époque : le chaudronnier, le serrurier, le drapier.
C'est au XVIIIe siècle que les renseignements deviennent systématiques en particulier dans les cahiers de doléance ; abondent les petits artisans dont les métiers gravitent autour de l'agriculture : des tisserands, des vanniers, des sabotiers , des tonneliers, des bourreliers, un maréchal, des menuisiers, des charpentiers, des scieurs de long, des couvreurs en chaume, un charron, un ferblantier, un forgeron, des taillandiers, des bouchers, des meuniers, un vinaigrier, un foulonnier, un tanneur, un voiturier, un cafetier, des charretiers.
Au XIXe siècle, les gendarmes, l'instituteur, les grainetiers, les marchands de laine, de bois, de beurre complètent cet éventail. S'y ajoutent les militaires de la République ou de l'Empire, qui votent, riches seulement de leurs souvenirs (ils sont dix sept en 1869) et les religieuses.

Napoléon a donné à Ferrières son héros : Louis-Michel Beauchamp.

Le journal Le Gâtinais rapporte, dans son édition du 29-11-1862, un événement mémorable : les obsèques de Louis-Michel Beauchamp, soldat de la Grande Armée, qui dans sa longue carrière militaire ou civile, a su mériter et obtenir l'estime de ceux avec lesquels il a vécu. Voici quelques extraits de cet éloge funèbre :
Ouvrier charpentier dans les chantiers de l'état dès l'année 1799, enrôlé dans l'armée de mer quelques années après, puis, sur sa demande, reversé dans le 4e régiment d'infanterie légère, il fit avec courage et bonheur la campagne de Prusse et de Pologne ; il eut sa part de la gloire dont les armées dotèrent la France par les brillantes victoires remportées à Austerlitz, à Wagram, à Iéna, à Esling, car il prit part à tous ces hauts faits d'armes.
Jusque là Beauchamp trouvait un dédommagement aux fatigues, aux marches forcées, aux privations de tout genre et aux dangers qu'impose la guerre, par les succès obtenus par nos armes... Mais bientôt, avec le corps d'armée dont il faisait partie, il fallut en toute hâte traverser d'immenses espaces, la Prusse, la France, l'Espagne, pour se rendre jusqu'à Cadix, et pendant plusieurs années, subir toutes les rigueurs d'une guerre désastreuse et toutes les privations de la disette. Quand les troupes françaises étaient chaque jour harcelées par les guérillas de ces indomptables espagnols, toujours empressés à prendre tous les moyens pour détruire partiellement ceux qu'ils ne pouvaient combattre en bataille rangée et dont, au péril même de leur vie, ils n'hésitaient pas à se délivrer. Cette campagne, si funeste à la France, le fut en particulier à Beauchamp ; il est fait prisonnier, enfermé dans les affreux pontons anglais, transporté avec des milliers de malheureux soldats dans cette île où les français eurent à subir toutes les privations et les plus mauvais traitements.
Rentré dans ses foyers en 1814, l'aménité de son caractère, sa probité, ses procédés honorables lui conquirent l'estime de ses concitoyens ; tandis que sa conduite réglée, son application au travail lui fournirent les moyens d'élever sa nombreuse famille.
Au courage militaire, aux vertus du bon citoyen, Beauchamp sut allier la foi du chrétien. Soumis à l'arrêt de la providence, il vit arriver sa dernière heure avec calme, il en parlait sans trouble… et ceux qui en furent témoins furent édifiés de son recueillement…
Cet antique et honorable débris de notre vieille armée, médaillé de Sainte Hélène, est mort à Ferrières à l'âge de 82 ans ; nous sommes heureux de lui rendre ce témoignage public de sympathie et de regrets.

Certains artisans le sont de génération en génération : la famille Beauchamp fournit des charpentiers de père en fils. Quelques notables, des commerçants ou des industriels se fixent pour un ou deux siècles, le temps que les affaires soient florissantes. C'est le cas des tanneurs, souvent alliés entre eux par une politique de mariages. Ainsi les familles Bordier, Delon, Nivelon dont les membres sont notaires, voituriers, tanneurs, marguilliers, échevins ou conseillers municipaux ; ce sont souvent des bienfaiteurs, ils font partie des " plus fort imposés " sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. C'est aussi le cas pour la famille Gastellier : l'un de ses membres est procureur fiscal à Ferrières en 1713 ; un autre, chirurgien, est le père du docteur René-Georges Gastellier à la fin du XVIIIe siècle.

René-Georges Gastellier est né à Ferrières le 3 octobre 1741, dans une famille de médecins : son père est maître chirurgien à Ferrières et son parrain, maître chirurgien à La-Selle-sur-le-Bied. A cette époque, le chirurgien était un "praticien", aide médical qui secondait un docteur. Ses premiers maîtres sont les moines de l'abbaye et son père, auprès de qui il apprend les rudiments du métier.
A vingt ans, il part pour Paris et mène parallèlement des études de droit et de médecine. Revenu à Montargis avec le titre de docteur, il se consacre à la médecine. Il se fait remarquer à la fois par sa compétence et son souci d'assurer l'assainissement de la ville et de développer les pratiques d'hygiène personnelle de ses habitants, convaincu que les maladies ont pour cause les mauvaises conditions de vie.
Son mariage en 1775 scelle son ascension sociale : le duc d'Orléans le nomme échevin de la ville de Montargis en 1781, et maire un an plus tard. L'année suivante, R.G. Gastellier se rend à Paris, où il est reçu avocat au Parlement.
Gastelier est un homme des Lumières. Dès son entrée en fonction, il entreprend des réformes sociales en faveur des habitants de Montargis. Tout au long de son mandat, il mènera sans relâche un combat pour améliorer les conditions de vie, remédier à la pénurie qui sévit aux premiers jours de la Révolution.
Anticipant la tenue des Etats Généraux, il réunit en assemblée générale les magistrats, les médecins et les corporations de Montargis et souhaite y associer le clergé et la noblesse. Il y expose ses idées d'avant-garde : le Tiers Etat doit être mis dans les assemblées sur le même plan que le Clergé et la Noblesse, les votes doivent se faire par ordre ; aucun homme exerçant une profession juridique ne peut être ni électeur ni élu aux assemblées. Ce discours électoral annonce une candidature aux Etats Généraux. Battu aux élections du 18 mars 1789, René Georges Gastellier est un des vingt huit médecins élus en septembre 1791 à l'Assemblée Législative. Il quitte Montargis pour Paris.
Mais les temps changent : à la dissolution de l'Assemblée Législative, c'est le début des règlements de compte ! Certains l'accusent de malversations, le déclarent traître à la patrie. Le séjour de Montargis devient dangereux, Gastellier vient s'établir à Sens. Hélas ! Pour peu de temps…
Gastellier est un républicain modéré ; la Terreur ne l'épargne pas ; il est bientôt emprisonné comme suspect, en dépit des services rendus à la population décimée par une grave épidémie. On lui reproche d'avoir, député, voté pour Lafayette. Incarcéré dans l'ancien couvent des Célestins, avec nombre de Sénonais, il attend sa condamnation. De ces méditations sortira l'ouvrage Que faut-il penser du supplice de la guillotine ? C'est la chute de Robespierre qui le sauve de l'échafaud.
Libéré, il se consacre à la médecine, à Sens, puis à Montargis (1797) et enfin à Paris ; il écrit de très nombreux ouvrages d'une grande qualité, souvent récompensés. Outre les manifestes et écrits politiques, on peut citer un Essai topographique, minéralogique, historique de la province du Gatinois (1780), qui donne des renseignements très intéressants sur 26 communes de la région de Montargis, le sol, le climat, la végétation, les productions, mais aussi l'état sanitaire des habitants et leur longévité… ouvrage précieux pour la connaissance de Ferrières et de sa région.
La Restauration reconnaît ses mérites et lui décerne, en 1817, le cordon de l'ordre de Saint-Michel.
C'est à Paris qu'il meurt, âgé de 80 ans, le 20 novembre 1821.

Cependant, la rotation sur les fermes de rapport ou les bâtiments industriels (moulins, huilerie, tuilerie) paraît importante car les noms des locataires ne laissent pas de trace durable.
Seul est permanent le vieux fond des cultivateurs qui s'accrochent à leur terre. Car la grande affaire à Ferrières, c'est la culture.
Dès le Moyen Age, les chartes insistent sur les redevances liées à l'agriculture (terres et vignes). Céréales et vin garnissent les dépendances des moines. Registres d'état civil et comptes-rendus de conseils municipaux permettent de mesurer l'importance du monde agricole. Si, aux XVIe et XVIIe siècles, les curés qui tiennent les registres ne mentionnent que très rarement le métier pratiqué par leurs ouailles et n'indiquent qu'un laboureur, ou qu'un vigneron par année (les plus riches ?), c'est que vraisemblablement la société n'est pas diversifiée et que tous travaillent la terre, hommes et femmes.
Le XVIIIe siècle est plus précis, l'éventail des professions s'élargit. Ainsi en 1713, les métiers de la terre surpassent les autres : sur 40 mentions, il y a 20 professions agricoles (10 vignerons, 5 laboureurs, 5 manouvriers) pour 14 autres métiers dont le procureur et le greffier !
Les Cahiers de doléances en 1789 font état de 13 laboureurs, 1 vigneron et un certain nombre manouvriers. En 1869, sur 484 citoyens appelés à voter, on compte 87 vignerons, 2 bergers et 7 charretiers : 20% d'une population où les hommes seuls comptent mais où les femmes travaillent aussi aux champs.
Cette importance du travail agricole n'échappe pas aux autorités et le comice agricole tenu à Ferrières en 1873 après des heures sombres pour les ruraux (ports et réquisitions de guerre, peste bovine) permet au préfet du Loiret de le rappeler.

Discours du Préfet lors du Comice de 1873

Messieurs,
Ces solennités agricoles sont les fêtes du travail. Ce sont les patients et rudes labeurs des populations de nos campagnes que nous venons honorer d'un hommage public, ce sont leurs luttes quotidiennes contre les forces de la nature dont triomphe avec l'aide de Dieu leur persévérante énergie, ce sont les succès qu'elles doivent à l'emploi de meilleures méthodes et aux applications devenues plus fréquentes de la science à l'art de la culture, ce sont leurs progrès dans la voie qui conduit à la fois à l'amélioration du sort des individus et à l'accroissement de la prospérité publique.
Les transformations qu'ont subies les conditions de nos travailleurs agricoles sont un des grands faits de notre histoire. Il y aura bientôt 700 ans qu'une charte de Philippe Auguste affranchit les serfs de Ferrières. Entre ces paysans à peine arrachés au servage de la glèbe et leurs enfants devenus propriétaires de la terre qu'ils cultivent, quelle distance et quels progrès accomplis ! C'est une des forces vives du pays, c'est une des plus solides assises de notre démocratie française que cette population unique en Europe de cultivateurs possesseurs du sol, confondant dans un amour qui va jusqu'à la passion leurs champs et leur patrie travailleurs infatigables, citoyens inébranlablement attachés à l'ordre et à la paix dont le travail a besoin, ennemis des théories malsaines et des commotions stériles, et qui semblent avoir pris pour devise cette belle parole d'un des fondateurs de la grande république américaine : "Si quelqu'un vous dit que vous pouvez réussir autrement que par le travail et par l'épargne, chassez-le, c'est un empoisonneur."
Le travail et l'épargne de nos campagnes ne sont plus seulement les éléments de leur prospérité. C'est au lendemain de nos malheurs la fortune même de la France ! Le pays qui fait appel au dévouement de tous ses enfants sait ce qu'il peut attendre de ces populations agricoles, aussi vaillantes dans les travaux de la paix qu'elles ont été intrépides sur les champs de bataille.

Des ouvrages sont consacrés au monde paysan. Le premier en date est l'étude du Dr Gastellier en 1780, qui décrit les ressources alimentaires et les richesses du terroir. Il note que la terre est ingrate, maigre et froide, peu propice aux céréales sauf au seigle et à l'orge. Il y pousse peu d'avoine, ni froment, ni épeautre, mais du blé noir. C'est la vigne qui vient le mieux. Le tiers de la surface cultivable est en terres labourables, le reste en bois et vignes. Ces dernières sont classées en première catégorie durant tout le XIXe siècle, lorsque les almanachs des départements rassemblent des renseignements propres aux cantons ruraux en vue d'établir des statistiques. Les Ferriérois n'ont pas non plus de bonnes prairies naturelles, elles sont en troisième et dernière catégorie ; le foin n'est pas nourrissant ; il faut, dès le XVIIIe siècle, penser aux prairies artificielles dont les promoteurs sont les châtelains éclairés des environs : Dupont de Nemours au Bois-des-Fossés à Chevannes, ou l'ami du peuple, le père de Mirabeau au Bignon. Jusqu'à la Révolution, il faut se battre pour faire paître les animaux sur les prairies de l'abbaye et les herbages dégagés par les étiages de l'étang des moines. La mise en vente de l'ancien étang comme bien national inquiète même le conseil municipal, car elle pourrait priver la communauté d'une pâture appréciable. Si chacun possède des vaches, les troupeaux de moutons sont rares. En 1826, la bergerie de la ferme Bel Air compte 210 bêtes. C'est énorme et rare. En 1870, il n'y a que 2 bergers à Ferrières, et en 1873, au comice agricole, le sous-préfet se désole de la désaffection des Ferriérois pour l'élevage des ovins. Néanmoins, les Ferriérois s'investissent dans leur travail : deux cultivateurs reçoivent des récompenses pour leurs génisses ; d'autres ont des mentions pour la qualité de leurs labours, mais aucun n'a de première place. Les bonnes terres labourables sont à l'ouest. Aussi est-il difficile, en 1900, de trouver un champ propice au concours de labour du prochain comice agricole.





Complément
sur
la vigne à Ferrières
Les cultivateurs font vivre le pays et nourrissent l'artisanat lié à leur existence : métiers du bois et du métal, vanniers et tisserands, car les Ferriérois font pousser des osiers et du chanvre pour leurs besoins. De 1789 à 1869, les vanniers passent de 2 à 4 (l'écorçage se fait traditionnellement sur la place Saint-Macé), les tisserands de 9 à 22. Le rouissage dans les mares et points d'eau a même été accusé vers 1830 de propager le choléra lorsqu'une épidémie s'est déclarée.
Jusqu'aux environs de 1960, les traces de cet état ancien sont encore visibles. Les cultures sont variées (seigle, orge, avoine, blé, betteraves fourragères, trèfle, sainfoin, luzerne et vesce) Les vaches vont paître dans les prairies de la Couture ou dans les prés pentus au-dessus de la rivière, ou près des fermes sur des terres laissées en herbe, ombragées de pommiers à cidre (Birague, Les Maurions, Mirebeau, Tirelande, etc.). Vergers et vignes complètent les ressources. Quelques propriétaires ont encore des osiers près de la rivière, des peupliers, des noyers. Les 4/5 des habitants qui résident en ville ont un petit lopin de terre ou un jardin.
Comme leurs ancêtres, les Ferriérois utilisent leurs fruits pour faire du cidre ou de l'alcool. Dans leurs jardins, comme en 1780, ils peuvent cultiver des pommes de terre, du chou-rave, des navets, du panais, des radis, des fèves, des haricots, des oignons, des poireaux, des pois et des pois chiches, de l'ail, du cassis, des groseilliers, et de la rhubarbe . Ils sèment du persil, de l'oseille, des épinards, du céleri, du fenouil, de la roquette, du thym. Chiendent, chardons, bleuets et coquelicots parsèment les champs, les pissenlits servent aux lapins, le plantain pour les oiseaux en cage, les orties pour la pâtée des canards, le buis (qui abonde naturellement à Ferrières au XVIIIe siècle) pour les Rameaux, le lilas pour les bouquets, la menthe et la tanaisie pour éloigner la vermine.
Mais si le docteur Gastellier revenait à notre époque, il aurait bien du mal à retrouver le paysage et les productions du terroir de 1780.
Où trouver à Ferrières les vignes et leurs pêchers, les pommiers et poiriers à cidre, les cognassiers, les néfliers et les cornouillers mâles ? Il pourrait alors reconnaître dans quelques haies et bordure de bois les sureaux, les prunelliers, les noisetiers et ramasser des noix. Il serait moins dépaysé dans les champs car il y pousse toujours des céréales, en particulier l'orge. Le maïs, réservé au XVIIIe siècle à la nourriture des volailles est cultivé sur des parcelles irriguées, la betterave sucrière a remplacé la betterave fourragère, le blé, le colza et le tournesol ont détrôné les prairies artificielles. Seuls restent les pois pour le bétail.