LA VIGNE ET LE VIN A FERRIERES

Un peu d'histoire


La culture de la vigne est bien prospère au Moyen Age. On a dit que la contribution des moines à la viticulture et à la vinification a été "un des plus grands services rendus à la civilisation occidentale". A Ferrières comme ailleurs, la destinée du vignoble se confond d'abord avec celle de l'abbaye.
C'est à Loup Servat que la tradition attribue l'introduction de la vigne à Ferrières. Il fallait certes du vin pour la Messe, mais aussi pour l'usage quotidien. La règle de saint Benoît accorde aux moines une hémine de vin par jour, environ 27 centilitres ; c'est peu, mais certains travaux de force comme l'abattage du bois, ou encore la maladie justifiaient une ration supplémentaire. Les jours de fête, les passages et les séjours des évêques et des princes étaient marqués par des festins où viandes et vins étaient servis à volonté. S'il restait encore du vin dans le cellier en septembre, avant les nouvelles vendanges, on le distribuait aux moines et aux convers, en masquant son aigreur avec du miel et de la sauge pulvérisée.

Quelques pièces d'archives retranscrites avant l'incendie d'Orléans en 1940 attestent de l'importance de la culture de la vigne à Ferrières et de son enjeu économique et politique : le roi, Philippe Ier dans sa charte de 1070 remet tous les droits aux Ferriérois sauf ceux sur la vente du vin. Un siècle plus tard, en 1185, la charte de l'abbé de Ferrières, Arnoul, stipule que "les hommes et les femmes de Saint Eloi peuvent disposer de leurs biens comme ils l'entendent … mais paieront trois deniers pour chaque poinçon (environ 20 l) de vin vendu. De plus, à chaque élection de nouvel abbé, chacun devra cinq sous pour les terres, vignes et bois qu'ils tiennent de l'abbaye." Déjà en 1127, le roi Charles le Gros avait confirmé pour Ferrières la coutume de Lorris : pas de taxe levée dans la banlieue de l'abbaye sauf le droit du vin.

En 1569, le chevalier du Boulay, un protestant sans foi ni loi s'empare de la ville en escaladant les remparts à l'aide de quelques bourgeois acquis à la nouvelle religion. Après avoir tué des religieux, pillé des trésors et reliques du monastère, les soudards descendent dans les caves, éventrent les barriques et rendent impropres à la consommation le vin qu'ils n'ont pu boire ou emporter en y mêlant les réserves de blé et de farine. C'est aussi à cette occasion (au mois d'août) que selon la tradition, des grappes de verjus apportées par un jeune garçon permettent à des religieux de survivre dans leur cachette.

En 1595, guerre et vin sont encore liés : les troupes du Connétable de Bourbon se voient refuser le logement à Ferrières par les gardes des portes et des remparts. Furieux, les soldats se vengent. Après avoir passé la nuit dans les granges avoisinantes, ils apportent un chargement de vin et trinquent avec les gardes. La suite se devine aisément : la ville est mise à sac pendant sept jours. Seule l'abbaye est épargnée.


Enfin, en 1619, lorsque Dom Morin, le prieur de l'abbaye, fait agrandir la chapelle de Notre-Dame de Bethléem et fait construire une porte entre la cour d'entrée et le sanctuaire, il doit payer le maçon : une partie des émoluments est en nature, "un poinçon de vin cléret, à la réserve du fût, toutefois".

Plus scientifique se veut l'étude concernant le Gâtinais faite par le Dr Gastellier en 1779, à la demande du roi Louis XVI pour son ministre Turgot. Parlant de Ferrières, il en loue la qualité du vin : "la vigne est la production dominante du pays et y dure des siècles ; son rapport est relatif à la quantité de fumier qu'on y met ; le vin y est fort bon, léger, clair, fin, surtout celui des vignes situées sur une colline exposée partie au midy et entièrement au couchant, colline qui est couverte de cailloux à l'épaisseur d'un pied et par endroits d'un pied et demi ; le vin que produisent ces vignes est sans contredit le meilleur de la province. " Est-ce pour cela, note encore le docteur, que "les hommes y sont de parfaits ivrognes." ?

Pourtant, en 1791, lorsqu'il faut payer des impôts au gouvernement révolutionnaire, le conseil municipal se plaint au district de Montargis de la misère locale, en insistant sur le fait "que la stérilité du sol ne produit que du seigle et un vin de mauvaise qualité qui ne peut supporter le transport et que l'on est obligé conséquemment de consommer dans le pays, et sujet à gros droits." Faut-il y voir une manœuvre politique ou la conséquence des mauvaises années consécutives aux grands froids et sécheresses conjugués de 1788 et 1789 ?

Les "gros droits" ont fait l'objet des Cahiers de Doléances de la ville. "Les habitants y demandent la suppression des droits établis sur les objets de consommation, particulièrement ceux sur le vin." Ils suggèrent un impôt unique sur chaque arpent de vigne pour remplacer les droits d'aides.

Qui est vigneron ?

Pour le citadin en mal de statistiques (ou pour le percepteur), la notion de vigneron est difficile à cerner. Les dénominations sont peu précises. En 1789, au moment de la rédaction des Cahiers de doléances, un seul habitant est déclaré vigneron, alors que le tiers de la surface cultivée du pays est occupé par la vigne. Les Ferriérois, quand ils ne sont pas notables ou commerçants, se disent laboureurs (il en est recensé treize) ou manouvriers.

Trois générations plus tard, sur 484 hommes qui votent à Ferrières en 1869, il y a 87 vignerons déclarés (soit 20 %) et aucun cultivateur. Or, la surface consacrée à la vigne n'occupe que le dixième de la superficie de la commune, loin derrière les bois. Si l'on dépouille l'état civil de la ville, on constate que les termes de "vigneron" et "cultivateur" sont interchangeables. Les Ferriérois cultivent leurs terres et produisent aussi du vin, en plus ou moins grande quantité, sur quelques arpents ou quelques rangs, quelle que soit la qualité de leur terrain, quel que soit son emplacement, souvent sur de multiples parcelles issues du morcellement après partages entre héritiers.

C'est au XIXe siècle que les vignerons semblent s'organiser. Chaque année, le ban des vendanges revêt une importance particulière et un certain decorum. Il est à chaque fois consigné dans les actes du conseil municipal. Le premier témoignage date de 1827. Début septembre, le maire convoque "les principaux propriétaires des vignes de la commune" (le terme vigneron n'est absolument pas utilisé, et ce pendant toutes les années de transcription du XIXe et du début du XXe siècle) pour examiner dans "toutes les parcelles l'état d'avancement de la maturité du raisin" afin de proposer une date pour l'ouverture du ban. Séance tenante, le conseil municipal est réuni et, après discussion, la date définitive est arrêtée et soumise aux autres propriétaires. En 1827, il se trouve onze gros propriétaires et à partir de 1841 jusqu'aux années du phylloxera, on en compte seize. La date du ban oscille autour du 23 septembre avec deux pics constatés : le 16 octobre en 1843 et le 15 septembre en 1860. Les vendanges s'étalent sur un mois, parfois moins en cas de date tardive ; le droit de grappillage est accordé pendant huit jours. Les dates sont également consignées. En général c'est à la Toussaint, plus rarement la dernière semaine d'octobre.

La culture de la vigne…

Où se trouvaient les vignes de l'abbaye ? En l'absence d'archives et de témoignages archéologiques, il est difficile de le savoir. Les cadastres donnent des informations pour l'époque moderne.
Les terres à vigne de Ferrières sont en 1ère catégorie et se distinguent de celles des communes des alentours. Les silex qui y abondent y sont pour beaucoup. Le cadastre porte la trace de cette activité. Les zones en question sont sur le plateau du Gâtinais, quelques-unes occupent en plus des pentes bien exposées, au sud ou à l'ouest. Il s'agit des "grandes vignes" entre la route de Dordives et celle de Bransles, et des vignes du Petit Crachis, du Bois Planté, d'Egrefin, de la Grosse Pierre en allant vers le village de Griselles, les vignes de Tout Vent et du Bois Carré, de la Pente de l'Etang, entre la route de Griselles et l'ancien étang des moines, exposées au sud.
Quant aux cépages, on ne peut que faire des conjectures sur ceux qui étaient privilégiés. Les vins blancs étaient particulièrement appréciés des religieux et des princes. Au temps des Capétiens, les "vins de France" (c'est-à-dire d'Ile de France, et jusqu'au pont de Sens, frontière avec les vins de Bourgogne) étaient essentiellement des vins blancs ou "vins de frumentel" utilisant le pinot gris ou "fromenteau", appelé aussi "beurot" en Bourgogne ou "auxerrois gris" dans les Côtes de Toul. On y adjoignit plus tard (XIe siècle) des vins rouges de pinot noir (un pinot plus précoce que le pinot noir cultivé aujourd'hui en Bourgogne) ; ce cépage, appelé "morillon" en Ile-de-France et "auvernat" dans l'Orléanais, avait la faveur des Anglais. Enfin, le gouais, cépage de gros rendement et résistant bien aux gelées printanières, fournit un "vin de gros noir", qui manque de qualité et de finesse.

… et le goût du vin

On apprécie le vin à Ferrières, mais il n'y a pas de négociant en gros avant la 1ère guerre mondiale. En 1869, sept établissements s'offrent à la pratique (cabarets, cafés et auberges) ; à la veille de la première guerre mondiale, il y en a le double, dont deux seulement dans le faubourg du Perray. Les quatre qui subsistent de nos jours en sont les timides héritiers.

Quelques preuves de cet amour du vin existent dans les archives municipales. Ainsi, en 1827, le maire, excédé par les plaintes réitérées des habitants du centre ville à l'encontre des buveurs attardés qui mènent grand bruit et se querellent, décide-t-il d'ordonner la fermeture des cabarets à dix heures du soir. Il souligne les lois en vigueur contre l'ivrognerie sur la voie publique et déplore les pratiques scandaleuses et délictueuses de quelques Ferriérois qui s'assemblent entre gens de connaissance, chez eux ou dans leur arrière-boutique pour y consommer outre mesure. Les vendanges de l'année auraient-elles été propices à réjouissances ?

Le phylloxera qui décime les plants anciens oblige les Ferriérois à se tourner vers des plants américains … mais les bonnes pratiques continuent. Plus d'un rang abrite quelques pieds de Noah. Prohibé par des élites soucieuses de la santé du consommateur, il apporte à la récolte qui souvent en manque le degré d'alcool qui fait la différence entre la piquette et le bon vin.

En 1913, les buveurs du pays sont encore malchanceux. Le maire rappelle la loi qui interdit aux débits de boisson de s'établir au sortir ou près des lieux de culte. Las ! Il existe à Ferrières, l'un à côté de l'autre, deux estaminets sympathiques en centre ville dont l'un jouxte la Place des Eglises ! La guerre de 1914-18 a-t-elle sauvé ces deux commerces ? Ils existent toujours, et si l'un est dévolu aux soins esthétiques, l'autre étanche encore la soif des passants.

La fin des vignerons

On cultive la vigne à Ferrières avec soin, pour sa consommation familiale jusque dans les années 1960, grand tournant pour la ville. Cela permet aussi de "brûler" et d'avoir en cave son marc, conjointement avec un peu d'alcool de fruits (pommes et prunes), le cidre et le poiré. Les familles de cultivateurs se dispersent, les petits-enfants s'orientent vers d'autres professions, le vin local ne plaît plus au palais et les terres peu rentables pour la plupart sont loties. Ferrières change de visage et les vignes disparaissent. Les tonnes pourrissent dans les caves, les outils trouvent une autre vie à l'étal des brocanteurs. Restent encore dans quelques maisons, les deux anneaux scellés sur la première marche de la cave qui permettaient de monter et de descendre les barriques en économisant sa peine, quelques treilles encore bien taillées, une vigne sur les coteaux de Saint-Lazare et … les confrères de Saint Vincent.

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